Plateforme de publication d'articles de la Société de généalogie des Cantons-de-l'Est portant sur des sujets liés à la généalogie, à l'histoire et au patrimoine.


La biographie de Jérôme-Adolphe Chicoyne – Épisode 11

Dans ce onzième épisode, après de courtes assignations comme agent d’immigration et de colonisation à Saint-Hyacinthe et à Montréal, J.A. Chicoyne est assigné à Sherbrooke.

Cette série est tirée du livre de Denis Beaulieu:  »Jérôme-Adolphe Chicoyne, avocat, journaliste. agent d’immigration et de colonisation, entrepreneur, développeur, maire, député ».

Cliquez ici pour retourner aux épisodes précédents.

Temps de lecture estimé – 12 minutes

*****

SON ASSIGNATION À SHERBROOKE

Le 23 février 1875, le gouvernement provincial adopta l’Acte de Rapatriement afin de favoriser, particulièrement, le retour au pays des 400 000 Canadiens qui s’étaient expatriés aux États-Unis, surtout en Nouvelle-Angleterre.

Cet acte, doté d’un fonds de 60 000 $, prévoyait le défrichage de lots et la construction de maisons pouvant être cédées à des colons. Il définissait les modalités de concession, les obligations des colons et les avantages liés à l’achat de ces lots. C’était l’agent de colonisation du gouvernement qui devait voir à l’application de cette loi.

À l’annexe 2b, nous retrouvons la transcription de ce fameux Acte de Rapatriement (ndlr : il est reproduit à la fin de l’article).

Le 13 mars 1875, comme J.A. Chicoyne s’y attendait, monsieur E. Moreau, secrétaire du Commissaire à l’Agriculture, lui écrivit pour lui donner les instructions au sujet de son nouveau mandat, soit de s’occuper du rapatriement des Canadiens français, texte que l’on retrouve plus bas[i] :

Québec, 13 mars 1875

J.A. Chicoine, Exr. Agent de Colonisation, St-Hyacinthe

Monsieur,

L’Honorable M. le Commissaire désire que vous vous rendiez à Québec dans le plus bref délai possible afin de s’entendre avec vous sur les instructions à vous donner relativement à la mise en pratique de la politique du gouvernement aux termes de la loi passée à la dernière session, au sujet du Repatriement des Canadiens émigrés aux États-Unis et à l’établissement des colons étrangers et indigènes dans certains cantons de l’Est.

L’Honorable Ministre aimerait à vous charger de la mission de veiller à l’organisation du mode qui va être immédiatement adopté pour mener à bonne fin le projet du Repatriement, ce qui exigera votre séjour permanent et l’ouverture d’un bureau officiel à Sherbrooke, du moins jusqu’au premier de Mai prochain, comme lieu central d’informations en communication avec ce Bureau et avec l’agent autorisé du gouvernement aux États-Unis pour le placement des Émigrés et des rapatriés, ainsi que des colons de ce pays qui voudraient bénéficier des avantages de la loi et s’établir dans Ditton et Chesham.

L’Honorable Commissaire ayant compris par ce que vous lui avez déjà intimé à ce sujet que vous étiez décidé à offrir sous peu votre démission comme agent de ce gouvernement, il espère que vous voudrez bien continuer en office jusqu’au premier de Mai prochain et vous dévouer à cette noble mission d’aider au Repatriement de nos compatriotes exilés.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, Votre très obéissant serviteur

E. Moreau Secrétaire

Quelque temps auparavant, les deux sociétés de colonisation de Saint-Hyacinthe et du comté de Bagot se fusionnèrent afin de mieux coordonner tout le développement de cette région. Ainsi, par la proclamation de cet Acte de Rapatriement, le canton de Ditton devint le centre principal de la Colonie du Rapatriement et les deux autres cantons, Chesham et Emberton, demeuraient les territoires de développement de la Société de colonisation de Saint-Hyacinthe et du comté de Bagot, développement supervisé encore une fois par J.A. Chicoyne.

Le 23 février, la loi fut acceptée; J.A. Chicoyne fut assigné comme agent de colonisation le 13 mars; le 31 mars, Ferdinand Gagnon, de Worcester, Mass., l’agent autorisé du gouvernement aux États-Unis pour le placement des Émigrés et des rapatriés, écrivit à J.A. Chicoyne qu’il était en place et qu’une foule de gens demandaient des informations concernant le rapatriement. Ce dernier pressa J.A. Chicoyne à organiser la mise en application du programme de rapatriement.

Jérôme-Adolphe Chicoyne, agent de colonisation – Collection privée de Andrée Benoît et de Richard Flibotte.

Toutefois, J.A. Chicoyne était toujours à Saint-Hyacinthe et attendait des instructions plus formelles du gouvernement. Sa position n’était pas bien définie, ni son salaire. Le 6 avril, monsieur Lesage du Département de l’Agriculture lui écrivit :

… J’ai peine à croire que vous puissiez vous dispenser d’avoir vos quartiers généraux à Ditton même.

Je n’ai pas encore d’assurance formelle à vous donner quant à votre position après le mois de mai. Il ne sera probablement nommé personne d’ici lors, à votre place je compterais sur ma bonne étoile et je tâcherais de me rendre indispensable comme je vous l’ai déjà expliqué. Tenez-moi au courant de vos arrangements avec M. Gagnon et mettons-nous en marche de suite. Je lui écris que s’il a quelques éclaireurs à envoyer en avant ils pourront loger chez M. Gendreau en attendant mieux.

Il y a [à] Sherbrooke une vingtaine de repatriés, plutôt 40, qui demandent à se rendre de suite dans Ditton, avez-vous vu ces gens-là, devons-nous les accepter, si oui comment allons-nous procéder ?

Bien à vous, S. Lesage

Le lendemain, 7 avril, le même monsieur Lesage écrivit, de nouveau, à J.A. Chicoyne :

Cher M. Chicoine.

D’après de ton des lettres que nous avons reçues de Sherbrooke entre autres une de M. Michaud à M. Garneau, les têtes m’ont l’air joliment montées au sujet des retards du gouvernement à se mettre à la besogne dans Ditton. … Je crains même que Mgr Racine serait un peu indisposé lui-même, du moins la lettre de M. Michaud le donne clairement à entendre, ainsi vous voyez qu’il faut déployer tout votre savoir faire pour détourner l’orage qui menace d’éclater. …

J.A. Chicoyne se rendit donc immédiatement à Sherbrooke. Voici la première lettre qu’il écrivit à sa femme, Caroline, laquelle était demeurée à Saint-Hyacinthe. Cette lettre nous donne bien toute l’atmosphère qu’il pouvait régner à Sherbrooke à ce moment-là, concernant le rapatriement :

Sherbrooke 8 avril 1875 – Lundi soir

Chère Caroline,

Je suis arrivé ici juste à temps pour étouffer une révolution naissante ! J’ai eu raison de ne pas venir sur la dépêche de M. Michaud : c’est absolument comme nous pensions. Il n’en est pas moins vrai que si le gouvernement ne marche pas de suite et promptement, il y aura des clameurs contre lui, et toute cette affaire du repatriement qui aurait pu donner du crédit au ministère pourrait bien virer en m … et … c. Je pars ce soir pour Québec, sans savoir quand je pourrai retourner à St-Hyacinthe. Je tâcherai de t’écrire demain afin que tu ais une lettre samedi matin.

J’ai diné chez M. Cabana où j’ai vu Chagnon qui te présente ses saluts. Ce soir, je vais faire une petite veillée chez M. J.J. Blais qui réside dans une villa de campagne près de cette ville. Bélanger l’avocat m’a demandé si je me mettrais en société avec lui pour pratiquer la profession.

M. Michaud est passablement excité et il pourrait bien scier un trait au gouvernement si ce dernier ne fait pas à son goût. Dans tous les cas il est satisfait de moi. L’évêque de Sherbrooke (Mgr Racine) commence à envisager l’affaire du repatriement comme une espèce de blague : si le gouvernement ne me continue pas après le premier Mai. C’est signe que la Providence me veut ailleurs. Arrive qui plante, telle est ma devise pour le moment.

Embrasse la petite et ais-en bien soin. JAC

*****

ACTE DE RAPATRIEMENT SANCTIONNÉ LE 23 FÉVRIER 1875

Sources : CAHIERS DU MONT SAINT-JOSEPH. L’Acte de rapatriement établissant la colonie de rapatriement de Ditton, Chesham et Emberton, en février 1875, Notre-Dame-des-Bois, 2008. 2 p.

Transcription, Denis Beaulieu

Acte pour encourager les Canadiens des États-Unis, les immigrants européens et les habitants de la province à se fixer sur les terres incultes de la Couronne.

Attendu que les Canadiens aux États-Unis manifestent en grand nombre le désir de venir se fixer sur les terres du domaine public de cette province et que pour encourager leur retour, il est expédient de leur offrir certains avantages particuliers; attendu que les mêmes avantages pourraient attirer dans la province une plus forte proportion d’immigrants agriculteurs disposés à se faire colons; et attendu aussi qu’il est juste d’étendre les mêmes avantages aux habitants de cette province; Sa Majesté par et de l’avis et du consentement de la Législature de Québec, décrète ce qui suit :

  1. Sur les revenus de cette province, une somme de soixante mille piastres est appropriée aux fins ci-après mentionnées sous le nom de « Fonds de colonisation ».
  2. Le lieutenant-gouverneur en conseil pourra autoriser le commissaire de l’agriculture et des travaux publics à faire ébaucher dans les cantons, qui seront désignés par le lieutenant-gouverneur en conseil, un certain nombre de lots de cent acres, destinés à être offerts aux habitants de la province qui désireront s’y fixer, et qui paraîtront en état de réussir comme colons.
  3. Cette ébauche consistera en un défrichement de quatre acres prêts à être ensemencés et en une maison d’habitation de pas moins de seize pieds sur vingt; ces travaux devant autant que possible être faits par les colons auxquels ces lots sont destinés. Le coût de ces travaux joint aux prix du fonds, ne devra en aucun cas excéder la somme de deux cents piastres par chaque lot; et sur l’ordre du lieutenant-gouverneur en conseil, le commissaire de l’agriculture et des travaux publics autorisera le paiement de ces travaux sur le « Fonds de colonisation » créé par le présent acte.
  4. Le prix de chacun de ces lots sera payable en la manière ordinaire, c’est-à-dire un cinquième en prenant le billet de location, et la balance en quatre versements annuels consécutifs avec intérêt à compter de la date du billet de location. Le coût des améliorations sera payable en cinq autres versements annuels consécutifs, qui deviendront exigibles successivement après que le prix du fonds sera échu en entier, sans intérêt jusqu’à l’échéance de chaque versement.
  5. Il sera tenu dans le département de l’agriculture et des travaux publics, pour les dépenses d’améliorations de chaque lot, un compte régulier dont un double sera fourni au département des terres de la couronne, lequel en fera la perception par ses agents à mesure que les remboursements deviendront exigibles et en rendra compte au Trésor.
  6. Le colon qui désirera se fixer dans l’un des cantons où les avantages ci-dessus sont offerts, aura l’option de faire lui-même une maison de pas moins de seize pieds par vingt. Dans ce cas, le colon touchera, à titre d’avance, le prix de ses améliorations, lorsqu’elles auront été exécutées à la satisfaction du commissaire de l’agriculture et des travaux publics, au prix fixé par ce dernier, cette avance remboursable en cinq versements annuels qui deviendront exigibles successivement après que le prix du fonds sera échu en entier.
  7. Pour avoir droit à un lot ainsi ébauché ou pour avoir le privilège de toucher une avance en ébauchant lui-même son propre lot, il faudra que le colon ne soit pas âgé de moins de dix-huit ans, qu’il ait les qualifications requises pour réussir comme colon et qu’il ne possède point de propriété foncière dans la province.
  8. Les lettres patentes pour les lots ainsi ébauchés ne pourront être accordées, que lorsque le prix du fonds, et le coût des améliorations ou le montant avancé pour en tenir lieu, auront été payés intégralement et que le colon aura défriché et maintenu en état de culture au moins quinze acres de son lot.
  9. À défaut de paiement d’aucun des versements exigibles, tant pour le paiement du prix du fonds que pour le coût des améliorations ou pour les avances faites, et à défaut par le colon de tenir de bonne foi feu et lieu sur son lot, de défricher et de mettre en culture au moins un acre de son lot chaque année, le permis d’occupation qui lui aura été accordé pourra être annulé et le lot concédé à une autre personne, sans qu’il ait droit de rien réclamer pour les travaux et les versements déjà faits, lesquels, à moins de raisons valables, seront confisqués au profit de la province.
  10. À même le « Fonds de colonisation », le commissaire de l’agriculture et des travaux publics pourra faire construire et entretenir, dans chaque colonie qui sera formée en vertu du présent acte, une maison pour recevoir les familles des colons les premiers jours de leur arrivée, et en général faire face aux frais prévus et imprévus qu’entraînera l’organisation de chaque colonie.

[i] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/005.002 : Lettre du 13 mars 1875 de E. Moreau adressée à Jérôme-Adolphe Chicoyne. 3 p.

*****

Dans le douzième épisode, J.A. Chicoyne est maintenant assigné à Sherbrooke et dirige les opérations de rapatriement des Canadiens émigrés aux États-Unis.

Cliquez ici pour retourner aux épisodes précédents.

Cliquez ici pour retourner à la page d’accueil du site pour lire ou relire d’autres articles.



Armoiries de la Société

À PROPOS DE NOUS

Bienvenue sur L’Entraide numérique, la nouvelle plateforme numérique de publication d’articles de la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est. Nous publions deux fois par semaine, les lundis et jeudis.

Nos collaborateurs publient sur des sujets variés liés de près ou de loin à la généalogie, à l’histoire et au patrimoine.

POUR NOUS JOINDRE:

redaction@lentraidenumerique.ca

L’Entraide numérique est toujours à la recherche de bonnes histoires à raconter à nos lecteurs. Que ce soit pour un sujet lié à l’histoire, à la généalogie ou au patrimoine régional, n’hésitez pas à nous envoyer votre article ou encore à nous contacter pour en discuter davantage.

ACCÉDEZ AUX Articles PAR THÈME:

LIENS UTILES:

ARCHIVES PAR MOIS :

ABONNEZ-VOUS À NOTRE INFOLETTRE