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La biographie de Jérôme-Adolphe Chicoyne – Épisode 12

Dans le douzième épisode, J.A. Chicoyne est maintenant assigné à Sherbrooke et dirige les opérations de rapatriement des Canadiens émigrés aux États-Unis.

En l’espace d’à peine 18 mois, la population du Canton de Ditton, qui deviendra La Patrie, passera de 308 à 969 habitants.

Cette série est tirée du livre de Denis Beaulieu:  »Jérôme-Adolphe Chicoyne, avocat, journaliste. agent d’immigration et de colonisation, entrepreneur, développeur, maire, député ». Elle comptera 31 épisodes, échelonnés jusqu’à la fin du mois d’avril.

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Temps de lecture estimé – 13 minutes

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À Sherbrooke, J.A. Chicoyne logea au Rail Road Hotel et ce fut de cet endroit qu’il dirigea les opérations du rapatriement, jusqu’au début du mois de mai 1875. Régulièrement, lorsqu’il le put, J.A. Chicoyne écrivit à sa femme pour lui donner des nouvelles et pour lui faire part de tout le travail qu’il accomplissait dans Ditton.

Les 14 et 15 avril 1875, l’Acte de rapatriement commençait déjà à porter fruit, le premier convoi de seize colons rapatriés des États-Unis arriva dans Ditton. J.A. Chicoyne les accueillit, à La Patrie[1]. Le lendemain, le 16 avril, on fit le recensement du canton de Ditton et on compta 308 habitants dans le canton. Ce recensement fut fait afin d’appuyer la demande pour l’ouverture du bureau de poste. Le 31 octobre 1876, soit un an et demi plus tard, on en compta 969[2].

Le 27 avril 1875, J.A. Chicoyne fit rapport à M. Lesage du Département de l’Agriculture et des Travaux publics. Un long rapport de près de quatre pages qui donnait tous les détails sur comment se déroulait le programme de rapatriement[3]. Voici les grandes lignes de ce rapport. À la deuxième partie, dans ses écrits, au document # 4, nous retrouvons une transcription de sa lettre.

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DOCUMENT # 4

Sources : CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/005.010 : Lettre du 27 avril 1875 de J.A. Chicoyne à S. Lesage du Département de l’Agriculture à Québec, 4p.

Transcription, Denis Beaulieu

            LETTRE À S. LESAGE, LE 27 AVRIL 1875

Sherbrooke (Rail Road Hotel) 27 avril 1875

Cher Monsieur Lesage,

Je suis allé à Montréal samedi, au bureau de M. King, et j’ai fourni à ce dernier tous les renseignements nécessaires à la création d’un bureau de poste à « La Patrie ». Il m’a paru assez bien disposé et il est possible que la chose réussisse. J’ai écrit en même temps une lettre officielle au maître-général des postes, demandant l’établissement du bureau en question. Qu’on établisse le bureau ou qu’on ne l’établisse pas, « La Patrie » sera quand même « La Patrie » et mon adresse à l’avenir est comme suit :

J.A. Chicoyne, Agent de Colonisation, La Patrie via Cookshire.

Le repatriement prend des proportions très satisfaisantes; demain matin, je pars pour accompagner une vingtaine de colons dont les uns me sont envoyés par M. Gagnon, les autres viennent de divers endroits de la Province. Du train que vont les choses, et d’après le nombre de colons que chacun m’annonce, il n’y aura bientôt plus de place dans Ditton et dans la partie de Chesham pourvue de chemin. Je vais donc de suite étudier les lieux, afin de constater où il est le plus opportun et le plus urgent d’ouvrir ou de continuer les chemins et j’aurai l’honneur de vous soumettre sous peu mes suggestions. Je suis muni d’une bonne boussole, et mes jambes n’ont jamais été si bien disposées à battre la forêt.

Je suis un peu désappointé de ne pas avoir encore reçu les effets de papeteries achetés chez M. Brousseau. J’aurai bien aimé pourtant à installer mon humble bureau à La Patrie dès cette semaine, et vous me feriez un vif plaisir en pressant cet envoi.

L’organisation se perfectionne et voici les dispositions que j’ai prises : à chaque train de passagers qui arrive à Sherbrooke, M. Camyrand du Rail Road Hotel, a une voiture et un runner, pour recevoir les voyageurs en général, et nos colons en particulier. M. Camyrand trouve à cela le bénéfice de sa maison, et ne charge rien, ni au gouvernement, ni même à nos colons. Ce qui n’empêche pas que nous trouvons là un immense avantage qui nous est assuré sans dépenses. Rendus chez M. Camyrand, au Rail Road Hotel, nos colons s’abouchent avec moi, si je me trouve dans Sherbrooke, et si je suis à « La Patrie », M. Camyrand les réfère à Monsieur le Notaire Noël, qui leur fournit les renseignements voulus en mon absence, et leur indique le chemin à prendre pour aller me trouver à mes quartiers généraux, M. Noël tenant pour son compte et pour le compte de ses associés, un bureau d’information générale et portant d’ailleurs un vif intérêt à la Colonisation, M. Noël, dis-je, est très heureux de recevoir ainsi nos colons, de les renseigner au besoin, sauf bien entendu le remboursement par le gouvernement de quelques petites sommes utilement dépensées par lui dans certains cas. Et je pense qu’en justice nous pourrions l’indemniser pour les quelques heures qu’il consacrerait de temps à autre pour l’utilité de nos colons.

Des arrangements très satisfaisants peuvent être conclus pour le transfert régulier et convenable des colons et de leurs bagages entre Sherbrooke et « La Patrie » pour des prix très modérés.

Dans ma prochaine, qui sera datée de « La Patrie », je vous fournirai de nouveaux détails.

J’oubliais de vous dire que j’attend avec grande hâte mes instructions du Département des terres. Vos propres instructions, quoique je les connaisse par conversations verbales, seraient aussi reçues avec plaisir.

Veuillez présenter mes hommages à Monsieur le Commissaire et lui communiquer les informations contenues dans la présente. N’ayant pas reçu ma presse à copier, il m’est impossible de garder copie de cette lettre. Je compte que vous serez assez bon pour m’en faire tenir une copie. Je voudrais conserver toute la correspondance que je ferai touchant cette belle œuvre du repatriement : forsan et haec olim memenisse juvabit.

Tout à vous

(Signé) J.A. Chicoyne.

P.S. Le bureau d’information dont je viens de parler dans la lettre ci-dessus, est celui à propos duquel une correspondance officielle a été échangée avec vous.    JAC.

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Selon J.A. Chicoyne, le rapatriement allait tellement bien qu’il prévoyait manquer de lots à vendre dans le canton de Ditton et dans le canton de Chesham, où les chemins étaient ouverts. Il proposa au gouvernement d’ouvrir de nouveaux chemins et de nouveaux lots.

Dès le mois d’avril 1875, J.A. Chicoyne alla à Montréal pour rencontrer le maître-général des postes afin d’obtenir la création d’un bureau de poste à « La Patrie ». Selon J.A. Chicoyne, le rapatriement allait tellement bien qu’il prévoyait manquer de lots à vendre dans le canton de Ditton et dans le canton de Chesham, où les chemins étaient ouverts. Il proposa au gouvernement d’ouvrir de nouveaux chemins et de nouveaux lots. Il expliqua en détail à monsieur Lesage la manière dont les choses se déroulaient à Sherbrooke, lors de l’arrivée des colons et leur prise en charge jusqu’à La Patrie. Il termina en disant : J’oubliais de vous dire que j’attends avec grande hâte mes instructions du Département des terres.

En principe, son assignation devait se terminer le 1er mai, mais de toute évidence, le gouvernement prolongea sa période d’embauche, de façon indéterminée.

Le 3 mai 1875, à la sortie de la messe, les colons choisirent un nouveau nom pour le canton de Ditton : « La Patrie » et formèrent un premier cercle agricole[4].

Notre pauvre Chicoyne n’avait pas le temps de chômer et le gouvernement lui poussait dans le dos pour accélérer les choses. Il devait se déclarer « malade » pour pouvoir aller voir sa famille à Saint-Hyacinthe et prendre un peu de repos. Voici la lettre, datée du 7 mai 1875, de S. Lesage du Département de l’Agriculture à J.A. Chicoyne[5] :

Québec 7 mai 1875

J.A. Chicoine, Esc.

St-Hyacinthe

Cher Monsieur,

Je regrette d’apprendre que vous êtes indisposé, j’espère que vous serez en état de retourner dès lundi à La Patrie. Nous tenons beaucoup à ce que pour les premiers temps du moins les colons qui visiteront la localité ne soient point désappointés. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire c’est sur le lieu des opérations même que je désire que le Département ait un représentant sûr.

J’ai hâte d’avoir des détails sur les travaux qu’ont faits vos 15 premiers colons. Vont-ils pouvoir semer un peu ce printemps ?

Vous avez bien fait de laisser des instructions à Sherbrooke et à La Patrie pour le temps que vous serez à St-Hyacinthe.

J’attends une lettre de vous demain.

Bien à vous,

S. Lesage

Le lundi matin, J.A. Chicoyne était à son poste à La Patrie. Il est remarquable de constater le dévouement que cet homme a consacré à « l’œuvre de la colonisation ». Il faut dire ici que J.A. Chicoyne était un « conservateur pur » et qu’à ce moment le gouvernement était aussi conservateur, alors il se faisait un devoir d’appuyer son gouvernement. Voici ce qu’il écrivit à sa femme, le 9 juillet 1875 :

… Je suis bien mais sans nouvelles des élections, J’en aurai en masse demain soir par La Minerve. Si le Ministre est battu, je ne servirai pas l’opposition. Je consens à me faire manger par les mouches au service d’un gouvernement qui marche selon mes principes, mais pour un ministre libéral ninni.

Le 27 mai suivant,monsieur King, l’inspecteur des Postes, vint inaugurer le nouveau bureau de poste qu’il baptisa du nom de « La Patrie »[6].

Première chapelle de La Patrie, construite en 1873 (Collection René-Brochu, La Patrie).

Au cours des mois qui suivirent, juin, juillet et août 1875, J.A. Chicoyne fut très occupé avec les visites de S. Lesage, de Mgr Racine et de tous les colons qui désiraient s’installer à « La Patrie ». Dans une lettre à sa femme, le 14 septembre, il lui écrivit : … Il n’est pas impossible que nous finissions par venir demeurer ici, si cette affaire doit durer. Le 27 septembre il écrivit de nouveau à sa femme, Caroline :

Chère Caroline,

Le mauvais temps va retarder mon retour plus que je ne pensais; mais tu ne perds rien pour attendre. J’ai pris des mesures pour que tu viennes demeurer constamment à La Patrie. J’ai une maison et nous logerons le curé avec nous, mais ne parles pas de cela à présent. Je suis toujours bien, seulement ce n’est pas vivre que de vivre séparé de ceux que l’on aime. Arrive que pourra, nous viendrons à La Patrie et soit que nous louons notre maison à St-Hyacinthe ou que l’on fasse venir ma tante pour l’habiter, nous arrangerons toujours les choses pour le mieux et penses-y d’avance.

Ton Jérôme qui t’aime.

J.A.Chicoyne

En effet, le 26 septembre, chez le notaire Élisée Noël de Sherbrooke, Damase Brault, un négociant de La Patrie, vendit à J.A. Chicoyne, l’agent de colonisation résidant à La Patrie, un lopin de terre de cinq acres de superficie, dans le lot 28 du 4e rang du canton de Ditton, avec des bâtisses dessus, pour la somme de 725 piastres que J.A. Chicoyne paya avec un billet payable à trente jours[7]. Cette maison il la baptisa : « La villa Bellevue », en souvenir du fief Bellevue de ces ancêtres.

Étant devenu propriétaire d’une maison et de plusieurs lots à La Patrie et sur laquelle il s’est qualifié, J.A. Chicoyne fut nommé Juge de Paix pour le District de Saint-François, le 8 octobre 1875[8]. Il demeura Juge de Paix jusqu’au 3 mars 1879, moment où il donna sa démission[9].


[1] COMITÉ DU 125eDE LA PATRIE. La Patrie – Paroisse Saint-Pierre 1875-2000, Sherbrooke, Éditions Louis Bilodeau & Fils, c1999, p. 58.

[2] COMITÉ DU CENTENAIRE. Centenaire de La Patrie, 1875-1975, La Patrie, Comité du Centenaire, 1975, p. 13.

[3] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/005.010 : Lettre du 27 avril 1875 de J.A. Chicoyne à S. Lesage du Département de l’Agriculture à Québec, 4p.

[4] REGROUPEMENT DES ARCHIVES DU SÉMINAIRE DE SHERBROOKE ET DE L’ARCHIDIOCÈSE DE SHERBROOKE. Fonds d’archives des fabriques de l’Archidiocèse de Sherbrooke, Sherbrooke, [www.diosher.org], 2003-03-08, FP 46, (Consulté en juin 2011).

[5] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/005.011 : Lettre du 7 mai 1875 de S. Lesage du Département de l’Agriculture à Québec, à J.A. Chicoyne, 2p.

[6] COMITÉ DU CENTENAIRE, op. cit., p. 71.

[7] BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS, Contrats # 2545 RB, 26 septembre 1875, Circonscription foncière de Compton, Cookshire.

[8] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/005.020 : Acte de nomination du Secrétariat Provincial, Québec, 8 octobre 1875.

[9] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/006.007 : Lettre du Bureau du Secrétaire de la Province de Québec à J.A. Chicoyne, accusant réception de sa lettre de démission, Québec, 5 mars 1879.

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Dans le prochain épisode, on fait connaissance avec son ami, l’Abbé Victor Chartier, premier curé de La Patrie.

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