Pour passer le temps des Fêtes, nous avons pensé vous offrir une série en rafale de quatre articles provenant des archives de la revue L’Entraide généalogique. Publiée il y a une dizaine d’années, en 2013 sous la plume d’André Tessier, cette série raconte la tentative de colonisation de ce que l’on avait appelé à l’époque Franceville, justement près des Cantons unis de Ditton, Chesham et Clinton dont une partie de l’histoire vous est racontée sur notre site à travers la biographie de J.A. Chicoyne. Bien qu’il ne reste plus grand-chose de nos jours de Franceville, cette colonie était située entre Scotstown et le Mont Mégantic, près de la frontière avec l’État du Maine.
Ceci est le premier de quatre épisodes. Le deuxième épisode vous sera offert dès demain.
Temps de lecture estimé – 10 minutes
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ÉPISODE 1 : LE CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

Figure 1 : District électoral de Compton, au tournant du XXe siècle. (Source : site du Registre foncier du Québec, consulté en juillet 2012)
Dans les années 1870, le gouvernement canadien prend conscience de l’immense perte économique que constitue pour le pays l’exil de milliers de citoyens en âge de travailler qui ont choisi de vivre aux États-Unis. Il vote l’Acte de Rapatriement, une loi qui vise à faciliter le retour au pays d’une partie de ces 400 000 Canadiens émigrés (1). Sanctionnée le 23 février 1875, la loi fédérale entre rapidement en vigueur et son application est laissée aux provinces.
C’est ainsi que la Province de Québec privilégie l’immigration des francophones et encourage la mise sur pied de sociétés de colonisation chargées de trouver les moyens d’installer des colons dans les régions situées loin des grands centres. L’immigration des francophones est encouragée car le gouvernement est conscient de l’isolement linguistique et culturel de la province, perdue dans une mer d’anglophones.
Durant les années 1870 à 1914, près de 30 000 Français s’établiront – provisoirement ou en permanence – au Canada. C’est l’une des grandes périodes d’immigration française au Québec. Plusieurs raisons expliquent ce départ des Français. En 1870 et en 1871, la Guerre franco-prussienne ravage la France. Après sa victoire, l’Allemagne annexe l’Alsace-Lorraine (l’Alsace et la Moselle actuelle) et réclame des indemnités démesurées à la France. Pour s’assurer qu’elle sera remboursée, l’Allemagne occupe plusieurs départements du nord de la France. Le versement des indemnités se terminera en 1873, ce qui signifie que la France, pendant toute la période de la guerre et pendant celle du versement des indemnités, prélèvera des impôts extraordinaires à ses citoyens. De plus, pendant la période allant de 1870 à 1885, une grave crise économique sévit en Europe.
Pour intéresser les Français à s’établir dans la province de Québec, déjà, en 1871, et par l’entremise du département de l’Agriculture et des Travaux publics, le gouvernement publie une brochure qui leur est destinée (2). Des agents d’immigration parcourent alors les régions françaises pour inciter les habitants des régions rurales à venir s’établir au Canada (3). Parmi ces colons français, certains s’installent à proximité du chemin qui prendra rapidement le nom de Franceville.
Le nom Franceville, donné à cette voie de circulation, ne vient pas du fait qu’un des colons a immigré d’une municipalité française portant ce nom. Les habitants du secteur donnent le nom de Franceville à ce chemin pour souligner la présence de quelques familles d’origine française qui, dès la seconde moitié des années 1870, habitent un secteur situé à la frontière des cantons de Hampden et de Marston (4). Ces familles portent les patronymes de Fongellaz, Gabert, Gélibert, Pinoteau, Raymond, etc. En 1881, le recensement du Canada pour les deux cantons de Hampden et de Marston, nous informe que d’autres colons d’origine française, les Constant, Kauff, Laumaillier, Lepelier, Mathias, Petitfourt, Sauny, eux aussi d’origine française, occupent des lots dans le secteur de Franceville (5).
Lorsque les immigrants atteignent le secteur qui s’appellera bientôt Franceville, ils découvrent d’abord le mont Mégantic. La montagne fait partie d’un ensemble qui comprend les monts de Franceville, Victoria, Saint-Joseph, Notre-Dame, les montagnes Noire, des Cohoes et le Pain de Sucre (6). Tout ce massif est connu sous le nom de mont Mégantic. Il est le résultat d’une intrusion qui comprend, entre autres, de la syénite (7), une roche principalement composée de feldspath, mais qui est surtout granitique (8). Le mont Mégantic, âgé de 125 millions d’années (9), s’apparente plus aux Montérégiennes, établies dans la plaine du Saint-Laurent à la même époque, qu’aux Appalaches, qui ont surgi beaucoup plus tôt entre 450 et 290 millions d’années(10).
Le mont Mégantic s’élève à plus de 1 105 mètres (11). À partir d’une hauteur de 750 mètres, il a les caractéristiques d’un territoire subarctique, et ce, en plein sud du Québec (12). La montagne profite d’un amoncèlement de neige exceptionnel. C’est le lieu le plus enneigé du sud du Québec. Environ cinq mètres de neige s’accumulent annuellement au pied du massif tandis que les sommets reçoivent des chutes de neige qui frôlent les 7 mètres (13). Le mont Mégantic entre dans la même catégorie d’enneigement que les régions de Charlevoix, des monts Valin, situés au Saguenay, et de la Gaspésie (14). L’altitude de la région fait que la saison hivernale y est la plus hâtive du sud de la province alors qu’au printemps, la neige persiste plus longtemps en raison des conditions moins favorables aux redoux (15). Plus l’altitude est élevée, plus la température s’abaisse et les précipitations de neige s’accroissent (16).

Figure 2 – Ruines trouvées sur le chemin de Franceville. (Photo prise en avril 2012 par André Tessier)
L’écosystème forestier principal de la région demeure celui de l’érablière à bouleau jaune (17). Des boisés de pruches, d’épinettes blanches et rouges, d’érables, d’ormes, de hêtres et de merisiers se retrouvent dans le canton de Hampden (18). L’érable, le pin, le sapin, le cèdre, l’épinette et la pruche dominent dans le canton de Marston (19). Une escalade sur le mont Mégantic nous fait passer de la forêt de feuillus à la forêt mixte, puis à la forêt de conifères. Graduellement, les érables et les bouleaux font place aux sapins, aux fougères et aux mousses (20).
En plus de la rivière au Saumon, quelques cours d’eau passent près du mont Mégantic. Ce sont le ruisseau de la Loutre qui prend sa source dans l’imposant marais des Scots, qui se situe entre le chemin de Franceville et la route qui relie Scotstown à Milan (21), dans la partie ouest du canton de Marston, et du ruisseau de la Montagne qui prend sa source dans les collines du mont Mégantic (22). Ce dernier ruisseau a procuré pendant près de 100 ans l’eau potable nécessaire à la municipalité de Scotstown.
Les animaux qui fréquentent le mont Mégantic sont typiques des forêts appalachiennes. En plus des oiseaux qui s’y trouvent, les colons de Franceville peuvent chasser les orignaux, les cerfs, les renards et les lièvres tout en évitant la présence des ours, lynx ou coyotes (23).

Figure 3 – Les colons français profitent de l’abondance des cours d’eau qui coulent dans le secteur de Franceville. (Photo prise en avril 2012 par André Tessier)
À proximité du chemin de Franceville, l’aspect accidenté du relief et les multiples roches de granit qui jonchent le sol, font que ce secteur n’a pas un bon potentiel agricole (24). Plusieurs secteurs sont marécageux ou en savane et sont donc difficiles à cultiver (25). En plus, le secteur de Franceville penche vers le nord-est, ce qui limite le temps d’exposition au soleil des terres qui y sont cultivées, en plus de procurer une température de quelques degrés en moins à cet endroit, par rapport aux terres exposées au sud.
Ndlr : La deuxième partie de cette série de quatre articles sera publiée demain sur notre site. Elle vous racontera l’histoire de cette colonisation qui sera de courte durée.
Références :
(1) http://www.toponymie.gouv.qc.ca/ct/toposweb/fiche.aspx?no_seq=343469, consulté le 23 octobre 2012.
(2) Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée. Étude sur l’histoire de la région du mont Mégantic. De la préhistoire au XXe siècle, p. 65. Texte non publié, trouvé à l’hôtel de ville de Scotstown. La brochure est celle rédigée par l’abbé Jean-Baptiste Chartier intitulé : La colonisation dans les Cantons de l’est, publié en 1871.
(3) Fournier, Marcel, La Colonie Nantaise de Lac-Mégantic. Une implantation française au Québec au 19e siècle, Québec, Septentrion, 2012, p. 14.
(4) Dubé, Benoîte, «La petite et la grande histoire de Val-Racine», Le Val-Racine, Volume 4, numéro 1, mai 2007, p. 30-32; p. 30; Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée, p. 181.
(5) Recensement de 1881 en ligne, dans http://www.collectionscanada.gc.ca/022/022-911-f.html, consulté en août 2012.
(6) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic : de la terre aux étoiles, s. l., Collection In Situ, 2012, p. 8
(7) Dubois, Jean-Marie et Léo Provencher, «Le capital nature des Cantons de l’Est», dans Dubois, Jean-Marie, dir. Les Cantons de l’Est, Sherbrooke, Les Éditions de l’Université de Sherbrooke, 1989, p. 6-18, p. 9.
(8) Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée…, p. 6
(9) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 13
(10) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…p. 13
(11) Dubois, Jean-Marie et Léo Provencher, «Le capital nature des Cantons de l’Est», p. 6.
(12) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 18
(13) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 25.
(14) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 22.
(15) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 26.
(16) Boisvert, Jean-Jacques, «Le climat des Cantons de l’Est», dans Dubois, Jean-Marie, dir. Les Cantons de l’Est, Les Éditions de l’Université de Sherbrooke, 1989, p. 52-63, p. 54.
(17) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 33.
(18) Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée…, p. 204.
(19) Fournier, Marcel, La Colonie Nantaise de Lac-Mégantic…., p. 22-23.
(20) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 34.
(21) Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée…, p. 204.
(22) Channell, L. S., History of Compton County and Sketches of the Eastern Townships, District of St. Francis, and Sherbrooke County, Cookshire, L .S. Channell, 1896, p. 262.
(23) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 36.
(24) Dubois, Jean-Marie et Léo Provencher, «Le capital nature des Cantons de l’Est», p. 6.
(25) Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée…, p. 204
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