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La colonisation de Franceville – Épisode 2

Pour le temps des Fêtes, nous avons pensé vous offrir une série en rafale de quatre articles provenant des archives de la revue L’Entraide généalogique. Publiée il y a une dizaine d’années, en 2013 sous la plume d’André Tessier, cette série raconte la tentative de colonisation de ce que l’on avait appelé à l’époque Franceville, justement près des Cantons unis de Ditton, Chesham et Clinton dont une partie de l’histoire vous est racontée sur notre site à travers la biographie de J.A. Chicoyne. Bien qu’il ne reste plus grand-chose de nos jours de Franceville, cette colonie était située entre Scotstown et le Mont Mégantic, près de la frontière avec l’État du Maine.

Voici le deuxième de quatre épisodes. Le troisième épisode vous sera offert dès demain.

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Temps de lecture estimé – 12 minutes

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ÉPISODE 2 – LA COLONISATION

Durant les décennies 1840 à 1860, des immigrants quittent les îles Hébrides, archipel situé à l’ouest de l’Écosse, pour s’installer au Canada dans les cantons de Lingwick, Hampden, Winslow, Marston et Whitton (1). Ce secteur des Cantons-de-l’Est devient rapidement une enclave écossaise où les habitants parlent le gaélique et pratiquent la religion presbytérienne.

Carte de l’implantation des Écossais dans le Haut-Saint-François au XIXe siècle (Source : Parc du mont Mégantic).

Avec l’avènement de la Confédération canadienne, les provinces possèdent les pleins pouvoirs en matière de colonisation. C’est ainsi qu’en 1869, le gouvernement québécois promulgue une loi qui favorise la création de sociétés de colonisation afin de contrer l’exode massif des Canadiens français vers les États-Unis. Ces sociétés, dorénavant subventionnées par le département de l’Agriculture et des Travaux publics, pourront acquérir des lots sur les terres de la Couronne pour y établir des colons.

En 1870, suite aux efforts de la Société de colonisation de Montréal, la colonie de Piopolis voit le jour dans le canton de Marston (2). Elle y installe principalement des zouaves pontificaux, des fervents catholiques engagés dans l’armée du Pape afin de protéger ce dernier contre les troupes de Garibaldi, l’unificateur de l’Italie. Ce canton suscite énormément de convoitises. La Compton Colonization Society y acquiert des lots pour y établir des immigrants britanniques, entre autres, des Écossais (3).

En 1873, plusieurs Écossais qui ont acheté des terres à la Compton Colonization Society les vendent à la Glasgow & Canadian Lands & Trust Company (4). Cette dernière acquiert plus de 23 lots de la Couronne le long de la route qui va en direction de Piopolis en plus de 12 195 acres de terrains appartenant à la Compton Colonization Society (5). La colonie de Piopolis accuse aussitôt la compagnie de nuire à son développement (6).

En 1871, quatre agences des Terres publiques administrent le territoire des Cantons-de-l’Est : celles de Magog, Arthabaska, Chaudière et Saint-François. Cette dernière peut disposer des terres de la Couronne disponibles dans les cantons de Whitton, Marston, Hampden, Ditton, Emberton, Chesham, Woburn, Clinton, Ditchfield et Spalding pour l’établissement de colons. L’abbé Jean-Baptiste Chartier, curé de Coaticook, est nommé agent de colonisation pour les Cantons-de-l’Est (7).

Afin d’attirer des colons, l’abbé Chartier donne une vision un peu embellie de la région qu’il a la charge de peupler. Dans un fascicule qu’il écrit dès l’année de sa nomination en tant qu’agent de colonisation (8), il parle des avantages qui attendent les agriculteurs dans les régions montagneuses des Cantons-de-l’Est. En outre, il fait part que «les hautes terres, couvertes en bois franc, offrent un sol léger il est vrai, mais propre à la culture de toute espèce de grain et surtout très favorable à la production du foin et de l’herbe» (9) et il précise qu’«un des grands avantages qu’il y a à coloniser les terres hautes, c’est que dès la première année on peut semer et récolter sans être tenu d’arracher les souches, et sans s’occuper de l’égout du sol» (10).

Pour acheter un ou plusieurs lots, il faut s’adresser à l’agent des Terres publiques (11). Le colon peut acquérir 100 acres de terre au prix de 60 $ qu’il peut payer en cinq versements de 12 dollars par année à un taux d’intérêt de 6 %, lorsque le paiement est échelonné. En retour, le colon doit respecter certaines conditions afin de devenir propriétaire de son lopin de terre. En plus d’effectuer ses paiements annuels, y compris les intérêts, il doit construire une habitation d’au moins 16 x 20 pieds (4,8 x 6 mètres) et avoir défriché un minimum de 10 acres de terrain après quatre années d’occupation de sa terre. Il doit aussi demeurer sur place ou installer une autre personne sur cette terre pour deux ans au minimum. Après avoir rempli ces exigences, le colon reçoit les lettres patentes qui font de lui le propriétaire de son terrain et ce, après la cinquième année d’occupation (12).

Carte des cantons (Source : Histoire des Cantons de l’Est).

Un fort antagonisme entre colons écossais et colons canadiens-français commence à se faire sentir dans la région. Les premiers voient le secteur est du Haut-Saint-François comme une enclave leur appartenant puisqu’ils y vivent selon leurs coutumes depuis plus de trois décennies. Les seconds commencent à envahir le territoire et des colonies s’implantent dans les cantons de Chesham, Ditchfield (13), Ditton, Emberton, Hampden, Marston (14)  et ce, sans oublier la Colonie Nantaise qui va s’établir à Woburn au début des années 1880 et, quelques années plus tard, à Mégantic. Malgré ces frictions, les premiers habitants de Val-Racine arrivent en 1877 (15).

Comparativement à d’autres secteurs, entre autres celui de Notre-Dame-des-Bois, la colonisation de Franceville ne s’est pas faite de façon concertée. À leur arrivée, les colons ne sont supportés par aucune société de colonisation et ne trouvent ni chapelle ni bâtiment communautaire érigé pour les recevoir. Leur lot est en bois debout (16). Rien n’est défriché! Quand ils atteignent les terres qu’ils n’ont jamais vues, les colons s’aperçoivent qu’ils se trouvent éloignés d’un noyau villageois. Pour se rendre au village le plus proche, ils doivent emprunter des chemins qui s’apparentent à de petits sentiers parsemés d’embûches (17).

Au cours des années 1875-1876, on érige la section du chemin qui rattachera Hampden à Saint-Léon de Marston, l’actuelle municipalité de Val-Racine. À la même époque, les résidents de Chesham (Notre-Dame-des-Bois) (18) s’établissent toujours plus vers Saint-Léon. Ils prolongent le chemin de Notre-Dame-des-Bois afin de rejoindre celui de Val-Racine qui se dirige vers Milan (Marston) (19). Quant au chemin Doyon, il ne sera érigé qu’en 1894 afin de faciliter l’exploitation de la Mountain Brook Mill (20).

Malgré la crise économique qui dure de 1873 à 1878, les perspectives économiques semblent excellentes dans le Haut-Saint-François. Des compagnies forestières lorgnent les réserves de bois de ce secteur. En 1873, une compagnie écossaise, la Glasgow & Canadian Lands & Trust Company, acquiert 3 060 acres de terrains qui longent de chaque côté la rivière au Saumon, des mains de deux spéculateurs et de la British American Land Company, au prix de 16 460 $. Ce sera le territoire de la municipalité de Scotstown (21). La Glasgow y investit 25 000 $ dans la construction d’une manufacture et d’un barrage (22). Environ 200 hommes travaillent alors à Scotstown (23), en particulier des immigrants écossais que la compagnie a fait venir d’outre-Atlantique (24).

La Glasgow & Canadian Lands & Trust Company achète aussi divers lots dans les cantons de Ditton, Hampden, Lingwick et Marston afin de se constituer une réserve forestière (25). Son siège social est établi à Lennoxville où la compagnie acquiert un terrain de 5 ½ acres, de John Henry Pope, à proximité de la ligne du Grand Tronc (26) afin de pouvoir envoyer la production de sa scierie aux États-Unis.

À l’époque, John Henry Pope, député fédéral du comté de Compton, est à la tête d’un groupe d’hommes d’affaires du Haut-Saint-François et de Sherbrooke, qui tentent de construire un chemin de fer qui partira de Sherbrooke pour rejoindre le lac Mégantic. La Glasgow & Canadian Lands & Trust Company achète pour 30 000 $ (27) d’actions de cette compagnie, l’International Railway, afin de faire pression sur elle afin que la voie ferrée projetée passe par ses installations de Scotstown (28). En janvier 1878, plusieurs dignitaires assistent à l’inauguration officielle de la portion de la ligne ferroviaire qui relie Robinson (actuel Bury) et Scotstown (29).

La venue du chemin de fer améliore grandement la situation économique de la région. À Franceville, le secteur du bois donne du travail à plusieurs colons avec l’ouverture de la Taylor & Jameson Grist and Saw Mill (30). Dans le secteur de MacLeod Crossing, situé à proximité de Franceville, une autre scierie du nom d’Otter Brook Lumber Company est érigée (31). Toutefois, la Glasgow & Canadian Lands & Trust Company semble connaître quelques difficultés et le gérant local tente même de partir avec l’argent de la caisse. Le 26 janvier 1883, le gérant McMaster est pris par la police au port de Montréal avec une somme de 15 000 dollars dans ses valises. Son bateau allait appareiller en direction de l’Australie (32).

En 1888, la structure manufacturière de Scotstown, alors une municipalité de 600 habitants, comprend trois scieries, une tannerie, une fabrique de charrettes (33) et une pulperie (34). En 1894, la Lake Megantic Pulp, filiale de la compagnie américaine Montague Paper (35), acquiert plus de 4 000 acres dans le canton de Marston des mains de la Glasgow & Canadian Lands & Trust Company au prix de 6 100 $ (36).

La drave au pied du barrage de Scotstown (Source: Collection Armand Charest).

Il arrive que les colons prennent un certain temps avant de s’acclimater aux aléas de la température qui règnent dans le secteur du mont Mégantic. Parfois, la courte saison agricole fait que la gelée de l’automne ou la neige arrive subitement alors que la récolte est toujours en plein champ (37). À proximité du mont Mégantic, les cultivateurs profitent seulement d’une saison agricole de 100 jours comparée à 120 dans la région de Sherbrooke (38). Ces problèmes d’adaptation au climat, le défrichement intense que doit faire le colon pour en arriver à cultiver une terre remplie de roches et donnant peu, font que plusieurs habitants de Franceville travaillent comme bûcherons dans la forêt ou deviennent ouvriers dans les manufactures des environs.

Références :

(1) Kesteman, Jean-Pierre, Peter Southam et Diane Saint-Pierre, Histoire des Cantons de l’Est, Sillery, IQRC, Collection : Les régions du Québec, volume 10, 1998, p. 248.

(2) Ibid., p. 435.

(3) Labonne, Yvette, Si ma région m’était contée…, p. 181.

(4) Little, J.I., Nationalism, Capitalism and Colonization in Nineteenth century Quebec. The Upper St. Francis District, Kingston et Montreal, McGill-Queen’s University Press, 1989, p. 141.

(5) Ibid., p. 177.

(6) Ibid., p. 141.

(7) Labonne, Yvette, Op. cit., p. 65.

(8) Chartier, Jean-Baptiste, La colonisation dans les Cantons de l’Est, Saint-Hyacinthe, Courrier de Saint-Hyacinthe, 1871.

(9) Ibid., p. 6.

(10) Ibid., p. 6.

(11) Ibid., p. 8.

(12) Ibid., p. 9-11.

(13) En 1873, des Français de religion protestante commencent à s’établir dans le Rang III du canton de Ditchfield. Ce rang va être connu sous le nom de «rang des Français». Fournier, Marcel, La Colonie Nantaise de Lac-Mégantic., p. 49-50.

(14) Kesteman, Jean-Pierre, Peter Southam et Diane Saint-Pierre, Op. cit., p. 248.

(15) Fournier, Marcel, Op. cit., p. 65.

(16) Dubé, Benoîte, «La colonisation de Saint-Léon», p. 35.

(17) Ibid., p. 35.

(18) Notre-Dame-des-Bois a d’abord porté le nom de Vaillantbourg, puis celui de Chesham.

(19) Labonne, Yvette, Op. cit., p. 187.

(20) Municipalité du canton de Hampden, procès-verbal, 8 janvier 1894.

(21) Little, J. I., Op. cit., p. 177.

(22) Ibid., p. 182.

(23) Giguère, Sébastien, Le Parc national du Mont-Mégantic…, p. 49.

(24) Labonne, Yvette, Op. cit., p. 206-207.

(25) Kesteman, Jean-Pierre, Les Écossais de langue gaëlique dans les Cantons de l’Est, Sherbrooke, les Éditions GGC, Collection Patrimoine, pp. 39-40. Dans cet ouvrage, Kesteman, mentionne que la première graphie du nom de ce village fut Scottstown, en l’honneur de John Scott, premier directeur local de la Glasgow & Canadian Lands & Trust Co. dans cette municipalité. Voir aussi : Kesteman, Jean-Pierre, Les débuts de l’industrie papetière en Estrie (1825-1900), Les Éditions GGC, Collection Patrimoine, 2009, p. 208.

(26) Little, J. I., Op. cit., p.178.

(27) Ibid., p. 182.

(28) Ibid., p. 117.

(29) Robert, Pierre, «La colonie de rapatriement de Ditton, Chesham, Emberton d’après le journal Le Progrès de Sherbrooke», Cahiers du Mont Saint-Joseph, Numéro 12, printemps 2010, p. 3-58, p. 46.

(30) Labonne, Yvette, Op. cit., p. 232.

(31) Ibid., p. 232.

(32) San Francisco Mail, vol.28, No 4542, 15 mars 1883, p.2. paperspast.nallib.gout.nz

(33) Kesteman, Jean-Pierre, Les Écossais de langue gaëlique dans les Cantons de l’Est, p. 41.

(34) Kesteman, Jean-Pierre, Les débuts de l’industrie papetière en Estrie (1825-1900), p. 77.

(35) Ibid., p. 188.

(36) Kesteman Ibid., p. 189.

(37) Robert, Pierre, Op. cit., p. 36. Tiré du journal Le Progrès, 27 octobre 1976.

(38) Giguère, Sébastien, Op. cit., p. 34.

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