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La biographie de Jérôme-Adolphe Chicoyne – Épisode 17

C’est en France que J.A. Chicoyne réussit à rencontrer plusieurs personnes qui réalisèrent, par la suite, deux grands établissements dans la région des Cantons-de-l’Est : la Trappe de Bethléem, à La Patrie et La Compagnie de Colonisation et de Crédit des Cantons de l’Est, à Woburn et Mégantic. Sans en faire un historique exhaustif, les quelques prochains épisodes traceront les grandes lignes de ces deux établissements dans lesquels J.A. Chicoyne joua un rôle majeur.

Cette série est tirée du livre de Denis Beaulieu:  »Jérôme-Adolphe Chicoyne, avocat, journaliste, agent d’immigration et de colonisation, entrepreneur, développeur, maire, député ».

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Temps de lecture estimé – 12 minutes

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SON IMPLICATION DANS LA TRAPPE DE BETHLÉEM À LA PATRIE

Avant de partir pour son voyage en Europe, J.A, Chicoyne discuta de ses projets de conférences et des buts pour lesquels il entreprenait cette grande tournée. L’abbé Jean-Baptiste Chartier, curé de Coaticook, l’abbé Victor Chartier, son frère, curé de La Patrie, Mgr Antoine Racine, l’évêque de Sherbrooke et président de la Société de Colonisation de Sherbrooke et possiblement quelques hauts fonctionnaires du Département de l’Agriculture et des Travaux publics à Québec furent mis au courant afin de s’assurer de leur collaboration future.

Lorsque le curé Victor Chartier apprit que J.A. Chicoyne prévoyait se rendre en France, il l’incita à aller rencontrer le Père Jérôme et le Père Abbé, Dom Eugène, à l’abbaye Notre-Dame de la Trappe de Melleraye, à la Melleraye de Bretagne en Loire-Inférieure. Melleraye de Bretagne est situé à quelques 50 kilomètres de Nantes. Ainsi, lorsque J.A. Chicoyne alla à Nantes, il se rendit à Melleraye.

Le curé Victor Chartier, son frère Jean-Baptiste et plusieurs autres personnes originaires de la région de Saint-Hyacinthe, connaissaient le Père Jérôme, originaire de Saint-Jude, tout près de Saint-Hyacinthe. Son nom était Charles-Vertume Péloquin, il fit son cours classique au séminaire de Saint-Hyacinthe, entra chez les Trappistes de Sainte-Justine, comté de Dorchester, dans la Beauce, puis passa en France où il était Sous-prieur de l’abbaye de Melleraye. En 1880, le Père Jérôme était âgé de 37 ans.

Mais pourquoi le curé Victor Chartier poussa-t-il J.A. Chicoyne à aller voir le Père Jérôme ? Dans mon livre sur Les Trappistes de La Patrie 1880-1882 – Une tentative infructueuse, je fais l’historique de toute cette aventure trappiste à La Patrie et je dis[i] :

En effet, depuis un bon bout de temps, la situation n’était pas favorable au clergé, aux religieux, aux religieuses et principalement aux Jésuites et aux Cisterciens. C’était une autre période d’anticléricalisme. Le gouvernement français, dans les années 1878-1879, penchait de plus en plus à la persécution et passa la loi Ferry qui accablait les religieux de lourds impôts. Cela afin de les acculer à la faillite et de les faire disparaître.

L’année 1880 fut une année noire pour le clergé et les religieux et religieuses de France. Durant toute l’année, les menaces venaient de toutes parts, certaines étaient sans conséquence, mais d’autres étaient plus sérieuses. À la fin de l’année les affaires étaient devenues si critiques qu’au mois de novembre les Trappistes de Bellefontaine furent expulsés brutalement de leur abbaye et celle-ci fut occupée par les militaires pendant cinq semaines.

Du côté de l’abbaye de Melleraye, eux aussi s’attendaient à être expulsés d’une journée à l’autre. Heureusement, la chose ne s’est pas produite. Mais la menace était toujours présente. Il faut dire ici qu’une bonne partie de la population française n’approuvait pas le gouvernement français et qu’elle alla se porter à la défense des religieux.

Ainsi, à Melleraye, s’il y avait eu expulsion, le Père Jérôme, canadien d’origine, aurait été l’un des premiers à être reconduit à la frontière. Donc sa situation personnelle était très critique. …

Comme nous l’avons vu plus haut, l’abbé Victor Chartier qui était curé à La Patrie depuis la fin de 1875, connaissait, par les journaux et les nouvelles qui circulaient parmi le clergé canadien-français, la situation du clergé français. L’abbé Chartier savait très bien que le Père Jérôme, un de ses amis du séminaire, vivait une période très critique, qu’il était menacé d’expulsion à tout moment et que si l’événement malheureux se produisait, qui sait où le Père Jérôme aboutirait.

Voilà pourquoi le curé Victor Chartier demanda à J.A. Chicoyne d’aller à Melleraye et d’offrir, au Père Abbé, l’opportunité d’envoyer le Père Jérôme au Canada pour établir un monastère trappiste à La Patrie.

J.A. Chicoyne se rendit à quelques reprises à l’abbaye de Melleraye et exposa au Père Abbé tous ses projets de développement pour les régions de La Patrie et de Woburn. Le Père Abbé, Don Eugène, accepta que le Père Jérôme vienne au Canada. Dans une lettre à J.A. Chicoyne qui était à Nantes, à ce moment-là, le Père Jérôme lui écrivit[ii] :

N-D de la Trappe

De Melleraye                                                                                      17 octobre 1880

Bien cher ami,

Me voilà prêt pour le départ et demain matin à 6 ½ h. je prendrai le chemin de fer à Château-Lorient pour Paris.

L’entreprise est grande et difficile. Prions le Bon Dieu d’en bénir les commencements et de déposer en nous tous l’esprit de sacrifice, la somme de courage et d’énergie nécessaires pour arriver à une fin, digne de nous et de sa gloire.

Votre très humble et tout dévoué ami

RP Jérôme ptre Sous-prieur

Au cours du mois d’octobre, J.A. Chicoyne fit la traversée en compagnie du Père Jérôme. Le 2 novembre 1880, le Père Jérôme arriva à La Patrie et se mit immédiatement à la recherche de lots qu’il pourrait acheter et défricher. Le 6 décembre, Eugène Bécigneul, un Français de Nantes qui était venu en même temps que le Père Jérôme, acheta de la British American Land Company, la BALC, les lots 9, 10 et 11 du rang VIII du canton de Ditton, 600 acres, en bois debout, pour la somme de 1 500,00 $, au bénéfice du Père Jérôme. De son côté, le Père Jérôme acheta de Horace French, hôtelier de Scotstown, le lot 10 du rang IX de Ditton, de 200 acres de bois debout, pour la somme de 200 $. Toutefois, ce n’est que le 15 mars 1881 que la transaction fut enregistrée chez le notaire.

Le Père Jérôme, vers 1880[iii]

Par la suite, le Père Jérôme fit ouvrir un chemin pour s’y rendre, fit faire du défrichement sur le lot 10 du rang IX, acheta l’ancienne chapelle de La Patrie, ainsi qu’un moulin à scie et tout l’équipement pour opérer une ferme et il fit construire sa maison-chapelle. Le 1er avril 1881, le Père Jérôme chantait sa première messe dans la maison-chapelle de la trappe qu’il baptisa Bethléem.

Le 20 juin suivant, Le Père Jérôme, Eugène Bécigneul et J.A. Chicoyne se présentèrent devant le notaire Élisée Noël, à Sherbrooke, pour régulariser les titres de propriété des quatre lots de la Trappe de Bethléem. Voici une transcription du contrat de vente qui fut enregistré le 8 juillet suivant au Bureau d’enregistrement de Cookshire[iv] :

Père Jérôme et Eugène Bécigneul, cultivateur de Channay , canton de Woburn, vend à Henri-Octave Vachette prêtre et à Joseph …  jardinier, François … cultivateur, Auguste … cordonnier, Jean … tisserant, Pierre … cultivateur, Dominique … ébéniste, Jean …  jardinier, Louis … jardinier, tous de la Trappe de Melleray, représentés, par procuration du 22 avril 1881 passée devant le notaire de France, par Jérôme-Adolphe Chicoyne avocat de Sherbrooke.

1e – Père Jérôme vend le lot 10 du Rang IX, de 200 acres de bois debout, pour la somme de 200 $, acheté de Horace H. French, hôtelier de Scotstown, le 15 mars 1881, et que J.A. Chicoyne paiera à Horace H. French, hôtelier de Scotstown.

2e – Eugène Bécigneul vend les lots 9, 10 et 11 du Rang VIII, 600 acres, en bois debout, pour la somme de 1 500,00 $, achetés de la BALC le 6 décembre 1880, pour le bénéfice du Père Jérôme, et E. Bécigneul paiera la BALC en trois paiements de 500,00 $ chacun.

Devant tous les travaux entrepris et réalisés par le Père Jérôme, le Père Abbé, Dom Eugène, n’a pas eu le choix de prendre des dispositions pour financer l’établissement et y envoyer deux frères pour aider le Père Jérôme. Les deux frères, les Frères Robert et Paul, arrivèrent à la Trappe de Bethléem le 30 août 1881 et se mirent eux aussi immédiatement à l’ouvrage : défrichement, ensemencement, récoltes et construction d’une grange.

Mais l’hiver fut très difficile pour les deux frères qui n’étaient absolument pas habitués aux rigueurs du climat québécois. De plus, la vie à trois à la Trappe devint de plus en plus insupportable et pénible. Les deux frères se plaignirent de cette situation à leur supérieur en France, Dom Eugène, qui, dès le mois d’avril 1882, vint voir lui-même de quoi il en retournait à la Trappe de Bethléem. Arrivé sur place et ayant examiné tout ce qui avait été fait par le Père Jérôme, il constata immédiatement l’illusion de l’entreprise. Sur le champ, il ordonna la fermeture de la Trappe en envoyant les deux frères aux États-Unis afin qu’ils rentrent en France et en laissant au Père Jérôme des instructions afin qu’il liquide les biens de la ferme de Bethléem.

Le Père Jérôme, au centre, et les deux Frères convers devant la chapelle, en 1881 – Source: Collection de la Société d’histoire de Sherbrooke, 1S1 FE 13D 2.3.



[i] BEAULIEU, Denis. Les Trappistes de La Patrie 1880-1882 – Une tentative infructueuse, Sherbrooke, pdg.beaulieu, c2009, p. 31. Ndlr: Ce livre est encore disponible à la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est.

[ii] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/006.034 : Lettre du Père Jérôme à J.A. Chicoyne concernant son départ de Melleraye, 1 p.

[iii]Abbaye cistercienne Val Notre-Dame, Saint-Jean-de-Matha,A-3.Z.1 – 03.02/P-54-29 2.

[iv] BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS. Contrat # 6011 RB, 20 juin 1881, Circonscription foncière de Compton, Cookshire.

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L’épisode 18 continuera de raconter la courte vie de la Trappe de Bethléem à La Patrie.

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