Dans ce nouvel épisode, nous racontons les années de J.A. Chicoyne comme député provincial du comté de Wolfe au cours de son premier et deuxième mandat. Il y sera député au cours de trois mandats consécutifs entre 1892 et 1904.
Cette série est tirée du livre de Denis Beaulieu: »Jérôme-Adolphe Chicoyne, avocat, journaliste, agent d’immigration et de colonisation, entrepreneur, développeur, maire, député ». Elle compte 31 épisodes, échelonnés jusqu’à la fin du mois d’avril.
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Le 30 janvier 1896, J.A. Chicoyne écrivit une lettre au Premier Ministre[1] :
À l’honorable L.O. Taillon
Premier Ministre
Québec
Mon cher Premier,
Dans le cours du printemps dernier, je prenais la détermination d’abandonner la politique et cela pour des motifs d’une nature absolument privé. Depuis l’époque de cette décision, je n’ai cessé de préparer les voies à son accomplissement et le moment est arrivé de prendre ma retraite. Samedi matin, je me rends auprès de mes électeurs pour leur remettre le mandat qu’ils m’ont si généreusement et si noblement confié en 1892.
Je ne quitte pas sans regret les rangs d’une armée dans laquelle je combats depuis 28 ans. Ma courte carrière parlementaire à Québec n’a été que satisfaction pour moi et je n’ai qu’à me féliciter en particulier des marques de confiance et de la sympathie que vous m’avez prodigués en toute occasion. Je ne garderai que de bons souvenirs des luttes faites sous vos ordres et de la bienveillance que j’ai constamment éprouvée de la part de mes compagnons d’armes.
Votre tout dévoué
J.A. Chicoyne
Sherbrooke 30 janvier 1896
De toute évidence, il ne mit pas à exécution sa décision de quitter. Louis-Olivier Taillon, l’ancien Premier ministre, Louis Beaubien, Commissaire à l’Agriculture et la Colonisation, et Louis-Philippe Pelletier, Procureur général, réussirent à le convaincre de demeurer en fonction.
Ainsi, devant laisser sa maison de Sherbrooke aux Sœurs du Précieux Sang, il décida de déménager toute la famille à Dudswell, plus précisément à Marbleton. Il alla donc s’installer à la limite du comté, le plus près possible de Sherbrooke. À preuve, le 1er février 1896, il reçut un télégramme de L.-O. Taillon et ce télégramme fut adressé à ‘’Marbleton’’[2]. Toutefois, il ne semble pas que J.A. Chicoyne ait acheté une maison à Marbleton. Je n’ai retrouvé aucun contrat d’achat pour cet endroit. Puisque la fonction de député semblait temporaire pour lui, il dut sûrement louer une résidence afin d’y loger toute la famille. D’ailleurs, il songeait toujours à prendre sa retraite, mais pas à Marbleton.
J.A. Chicoyne eut toujours les mots justes et sa manière de remettre les choses dans leur contexte désarmait à chaque fois l’opposition. Voici un exemple des réponses courtes mais pointues, faites par J.A. Chicoyne lors du débat qui s’éternisait suite au discours du trône. À la séance du 19 novembre 1896, J.A. Chicoyne donna la réplique suivante :
Sans doute. Et si je ne puis reconnaître au chef de l’opposition des qualités d’hommes d’état, (rires) il sait bien que je suis toujours prêt à reconnaître son honorabilité.
Le dernier reproche de l’opposition envers le gouvernement, c’est d’avoir volé le programme de ses prédécesseurs. Eh bien, il n’y a pas grand mal à cela, car nous avons payé assez cher pour ce qu’ils ont fait de bon et nous ne faisons que reprendre notre bien (applaudissements). M. Chicoyne a été chaleureusement félicité par ses collègues[3].
Toujours dans ce même débat, le chroniqueur du journal rapporta :
M. Chicoyne a fait un discours puissant par l’argumentation et très remarquable par la forme.
Il a été chaleureusement félicité par ses amis et par plusieurs de ses adversaires, et nous sommes heureux de joindre nos félicitations à celles de ses collègues[4].
À la séance du 24 décembre 1896, le député de Terrebonne et Commissaire des Terres de la Couronne, Guillaume-Alphonse Nantel, présenta un projet de loi qu’il appela le « Homestead ». Dans un long discours à la chambre, G.-A. Nantel expliqua son projet de loi et définit le « Homestead » :
C’est le domicile, le foyer domestique, le domaine patrimonial rendu inviolable, en soustrayant à la saisie pour toutes dettes contractées avant la concession les terrains de la couronne et en les rendant inaliénables, incessibles même peut-être, durant la vie du concessionnaire primitif, celle de son conjoint et celle de leurs descendants directs.
Naturellement cette loi ne s’appliquera qu’aux terrains qui à l’avenir seront acquis de la Couronne[5].
Plus loin il note :
Je vois avec plaisir, que l’hon. Député de Wolfe, entrant dans cet ordre d’idées, a présenté un projet de loi qui sera comme le corollaire le complément de la mesure que je présente aujourd’hui à la chambre.
Tout en faisant des vœux sincères et ardents, pour l’adoption d’un projet de loi si désirable pour l’ouvrier et le petit propriétaire, ces classes si intéressantes et si dignes de notre sollicitude, je dois me borner à ces dispositions qui sont applicables aux concessions des Terres de la Couronne.
Dans la même édition du 2 janvier 1897 du Journal des Campagnes, le chroniqueur rapporta :
Seconde lecture du bill (No 134) – Loi concernant les biens de famille en cette province. – M. Chicoyne.
Ce projet de loi applique le principe de la loi du ‘’Homestead’’ à toute personne qui, sans être colon, peut créer un patrimoine de famille insaissible, pourvu qu’il ne soit pas d’une superficie de plus de 200 acres ni d’une valeur de plus de $2,000.
M. CHICOYNE expose avec éloquence les avantages de son projet de loi et cite des exemples dans les différents pays qui en ont appliqué le principe auparavant.
Plus loin, le chroniqueur termina en précisant :
Finalement le projet de loi, après adoption sur division en seconde lecture, est référé à un comité spécial composé de cinq membres, lequel devra en étudier le principe et les détails[6].
Une chose intéressante à noter, est la durée des sessions à la chambre qui était relativement courte. Une session consistait dans l’ouverture de la chambre à une certaine date et sa fermeture à une date ultérieure. De 1892 à 1897, sous la 8e législature, il y eut six sessions :
- 1ère session, du 26 avril 1892 au 24 juin 1892
- 2e session, 12 janvier 1893 au 27 février 1893
- 3e session, du 9 novembre 1893 au 8 janvier 1894
- 4e session, du 20 novembre 1894 au 12 janvier 1895
- 5e session, du 30 octobre 1895 au 21 décembre 1895
- 6e session, du 17 novembre 1896 au 9 janvier 1897.
Chaque session dura à peine deux mois et généralement il y eut une session par année. Il faut dire que le gouvernement, de 1892 à 1896, ne s’occupait que de très peu de choses : justice, finances publiques, agriculture et colonisation, travaux publics, terres de la Couronne, avec un premier ministre, un secrétaire de la province et un président du Conseil exécutif. En 1896, on ajouta les mines, les forêts et les pêcheries. De plus, les députés étaient souvent des gens de profession, et même des cultivateurs, qui devaient aussi travailler à plein temps afin de faire vivre leurs familles. Donc, il n’était pas question de prolonger indument les sessions à la chambre, chacun désirant retourner à ses occupations.
Le 27 février 1897, la chambre fut dissoute et de nouvelles élections générales furent décrétées. Le scrutin eut lieu le 11 mai 1897[7].

Jérôme-Adolphe Chicoyne, député. Source: BAnQ.
SON DEUXIÈME MANDAT
Aux élections du 11 mai 1897, la situation des partis fut inversée : le Parti libéral fit élire 51 candidats avec 53 % des votes et le Parti conservateur, 23 avec 43 % des votes. Le Parti conservateur de J.A. Chicoyne se retrouva donc dans l’opposition. Dans le comté de Wolfe, J.A. Chicoyne remporta la victoire avec 758 votes de majorité et il entreprit son deuxième mandat comme parlementaire à l’assemblée législative du Québec.
Cette neuvième législature fut de courte durée, à peine deux ans et demi, du 11 mai 1897 au 14 novembre 1900. Il n’y eut que trois sessions d’environ deux mois chacune.
À la séance du 25 janvier 1899, le chroniqueur du Journal des Campagnes rapporta :
LA LOI SUR LA CONCILIATION
L’ordre du jour appelle ensuite la deuxième lecture du projet de loi de M. Chicoyne sur la conciliation. Comme on le sait, il s’agit de tenter un effort pour mettre fin aux petits procès. Le député de Wolfe dit que le système existe en France, en Belgique et en Hollande où il donne satisfaction et il demande à la chambre de s’unir pour sanctionner ce principe qui mettra fin à un grand nombre de chicanes. La deuxième lecture est votée à l’unanimité et le projet de loi est référé à un comité composé de MM. Stephens, LeBlanc, Chaurest, Caron, D’Auteuil, Marion, Laliberté, Chicoyne et Robitaille[8].
Plus loin, à la même séance du 25 janvier, en rapport avec le débat concernant la loi sur l’instruction publique, le chroniqueur écrivit :
M. CHICOYNE ne voit pas quels sont les inconvénients que le gouvernement peut trouver au système actuel qui est en vigueur depuis de longues années. Il a déjà entendu discuter cette question dans le public, et on prétendait que la nomination des inspecteurs d’écoles était un patronage qui devait appartenir au gouvernement. Les gouvernements conservateurs n’ont jamais poussé si loin le désir de l’exercice du patronage. Selon M. Chicoyne, cette clause de la nouvelle loi, aura pour effet de faire des inspecteurs politiciens, exposés à toutes les misères de la politique.
Il félicite le gouvernement d’avoir abandonné l’idée de la création d’un ministre de l’Instruction publique, et s’il consentait à renoncer à la nomination des inspecteurs d’écoles pour laisser subsister le système actuel, son projet de loi serait acceptable[9].
L’année suivante, à la séance du 22 janvier 1900, J.A. Chicoyne présenta un projet de loi en vue de mettre sur pied les caisses rurales. Le 21 février, dans un long discours sur les caisses rurales, J.A. Chicoyne proposa que la seconde lecture de son projet de loi soit acceptée. Le 26 février, la chambre reprit le débat sur les caisses rurales. Plusieurs députés se prononcèrent en faveur du projet de loi et félicitèrent J.A. Chicoyne. Finalement, le projet de loi de J.A. Chicoyne est référé à un comité spécial[10]. Toutefois, ce projet de loi ne sera jamais adopté.
À la séance du 8 mars 1900, dans le débat sur la colonisation, J.A. Chicoyne proposa que la loi des terres de la Couronne soit modifiée afin de permettre au gouvernement de concéder gratuitement aux colons les lots sur lesquels le bois marchand a été enlevé par les propriétaires de limites. …
M.CHICOYNE expose de nouveau, avec une grande vigueur, toutes ses raisons à l’appui de sa proposition et demande de remettre à quelques jours la prise en considération de sa résolution[11].
À la séance du 9 mars 1900, le débat reprit concernant l’abolition du Conseil législatif. J.A. Chicoyne s’opposa encore à cette proposition des libéraux :
M. CHICOYNE ne voit aucune bonne raison donnée par l’orateur précédent, en faveur de l’abolition du Conseil législatif, et, dans un discours vigoureux, le député de Wolfe démontre que le Conseil législatif est non seulement utile, mais encore indispensable. Réformons-le en changeant le mode de recrutement, mais ne détruisons pas cette clef de voûte de notre administration provinciale[12].
Le 23 mars 1900, la session fut prorogée et tous les projets de lois furent remis à la prochaine session. Mais il n’y a pas eu de prochaine session, car le 14 novembre 1900, la Chambre de la neuvième législature est dissoute et, le lendemain, des élections générales sont décrétées.
Nous pouvons constater que ce deuxième mandat de J.A. Chicoyne fut plus productif que le premier. C’est comme si le rôle de député d’opposition et une discipline de parti moins forte lui convenaient davantage, dit Gaston Deschênes, dans sa biographie de Chicoyne.
[1] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/029.003 : Lettre de J.A Chicoyne au Premier Ministre, le 30 janvier 1896, annonçant sa démission, 1 p.
[2] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/029.004 : Télégramme de L.-O. Taillon à J.A. Chicoyne, 1 p.
[3] Journal des campagnes, 28 novembre 1896.
[4] Journal des campagnes, 28 novembre 1896.
[5] Journal des campagnes, 2 janvier 1897.
[6] Journal des campagnes, 2 janvier 1897.
[7] ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC. Histoire, [www.assnat.qc.ca], (Consulté juin 2011).
[8] Journal des campagnes, 4 février 1899.
[9] Journal des campagnes, 4 février 1899.
[10] Journal des campagnes, 3 mars 1900.
[11] Journal des campagnes, 17 mars 1900.
[12] Journal des campagnes, 17 mars 1900.
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Dans le prochain épisode, nous poursuivrons l’histoire de la carrière de député provincial de J.A. Chicoyne pour le comté de Wolfe en racontant les années de son troisième et dernier mandat. Il y fut député pendant trois mandats consécutifs entre 1892 et 1904.
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