Plateforme de publication d'articles de la Société de généalogie des Cantons-de-l'Est portant sur des sujets liés à la généalogie, à l'histoire et au patrimoine.


Monsieur de Portneuf sur la Chaudière et le lac Mégantic en 1690

Voici un nouvel article sorti des archives de la revue L’Entraide généalogique à l’occasion de son 45e anniversaire. L’auteur, Mgr Albert Gravel, était un régulier de la revue durant les années 1980 dans une chronique intitulée ‘Glanures historiques’. Cependant, c’était à titre posthume puisqu’il est décédé en 1978.

Monseigneur Albert Gravel était prêtre et est surtout reconnu comme étant l’historien des Cantons de l’Est. Né en 1894 dans la région de Montréal, on le retrouve, entre autres responsabilités durant son sacerdoce, comme vicaire de la paroisse St-Edmond de Coaticook ainsi qu’à Ham-Nord et à Bromptonville. Il devient ensuite curé de Nantes de 1925 à 1938, de St-Herménégilde de 1938 à 1945 et ensuite de la paroisse Sainte-Jeanne d’Arc à Sherbrooke de 1945 à 1957. Vers la fin de sa vie, il a également été archiviste, section histoire, à l’archevêché de Sherbrooke.

Une rue de Sherbrooke porte aujourd’hui son nom dans l’est de la ville. Pour rappeler sa mémoire, on note également le pont Monseigneur-Albert-Gravel qui enjambe la rivière Saint-François dans le secteur de Brompton.

À partir de 1982, la revue L’Entraide généalogique de la SGCE a publié sur une dizaine d’années des chroniques intitulées ‘Glanures historiques’ pour saluer sa mémoire et pour continuer à partager ses écrits comme on le mentionnait dans l’introduction de cet article de 1982 dans le numéro 5-2 à la page 52 :

»Avec ce numéro de la revue, débute une série d’articles sur l’histoire des Cantons-de-l’Est. Nous puiserons dans les écrits de celui qu’on nomma à juste titre l’historien des Cantons-de-l’Est, Monseigneur Albert Gravel p.d.. Les textes traiteront de sujets variés où s’entremêleront des faits de la grande et de la petite histoire.»

Au total, de 1982 à 1991, 19 articles de ces Glanures historiques ont ainsi été publiés dans la revue L’Entraide généalogique. Nous gardons d’ailleurs en réserve pour la fin avril un autre article – publié en 1988 – dans cette série commémorant les 45 ans de la revue, celui qui raconte les débuts de Sherbrooke autour de son fondateur, Gilbert Hyatt.

Monseigneur Gravel avait également été l’un des apôtres à promouvoir la fondation de la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est en 1968, quelques années avant son décès. Il était également membre de la Société d’histoire des Cantons de l’Est, devenue depuis la Société d’histoire de Sherbrooke (ou MHist).

Monseigneur Albert Gravel (1894-1978) Source: Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

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MONSIEUR DE PORTNEUF SUR LA CHAUDIÈRE ET LE LAC MÉGANTIC EN 1690

Voici une expédition très intéressante pour notre région. Dans la nuit du 5 août 1689, les Iroquois, après avoir opéré le célèbre massacre de Lachine, s’étaient répandus dans toute l’Île de Montréal, semant la terreur. Monsieur de Frontenac qui arrivait alors à Québec comme gouverneur pour un second terme, avait donc la double tâche de réduire les Iroquois et de porter la guerre contre les Anglais.

À cette fin, il organisa, en l’année 1690, trois expéditions en Nouvelle-Angleterre. La première commandée par Messieurs D’Ailleboust de Mantée, de Sainte-Hélène et d’Iberville parcourut une centaine de lieues sur la neige et à travers de profondes forêts pour aller détruire Corlar (Schenectady). La seconde, commandée par François Hertel, passa par le Saint-François, le Lac Memphrémagog et la Connecticut, pour tomber sur Salmon Falls (New-Hampshire). La troisième, commandée par Monsieur de Portneuf, remonta le cours de la Chaudière, traversa le Lac Mégantic et descendit la Kénébec pour atteindre Casco. Les trois expéditions furent couronnées de succès. Ici, nous voudrions parler tout particulièrement de la troisième.

Monsieur de Portneuf, troisième fils du baron de Bécancourt, était parti de Québec le 28 janvier 1690, avec cinquante Français et le lieutenant Tilly de Courtemanche, Repentigny, son cousin. Passant au Sault de la Chaudière, il y prit soixante Abénaquis, pour continuer sur le cours gelé de cette rivière et parcourir le Lac Mégantic en toute sa longueur, suivant le cours de l’Arnold – qui ne portait pas ce nom alors – d’après le tracé déjà fait par le Père Drouillettes en 1646 et 1650, et probablement celui de Monsieur de Grandfontaine et du baron de Saint-Castin en 1670; par la rivière Dead, il tomba sur la Kénébec.

Cette route était familière aux Abénaquis qui, depuis 1640, la parcouraient pour y séjourner, chasser et pêcher, se rendant à Sillery et en revenant. C’est d’ailleurs ce que fit la troupe de Portneuf qui prit quatre mois, février, mars, avril et la moitié de mai, pour atteindre un premier village abénaquis où ils ne trouvèrent personne. Vivant uniquement de la chasse, ils souffrirent de graves difficultés. Poursuivant plus bas dans la rivière Quinibiquy (Kénébec)  ils rencontrèrent un autre village qui était en fête. Les guerriers de ce village revenaient d ‘une expédition contre les Anglais et ils en avaient tués dix.

Monsieur de Portneuf rassembla tous les sauvages des alentours grossissant sa troupe en nombre pour descendre la rivière Kénébec en canot probablement, car à cette saison le cours de cette rivière devait être libre de glace; le 25 mai, il se trouvait à quatre lieues de Raskébec (Casco) sur la mer, à l’embouchure de la Kénébec. Il  y avait là un grand fort défendu par huit pièces de canon et rempli de munitions. À quelque distance étaient quatre fortins moins bien défendus. Le lendemain de leur arrivée, quatre sauvages et deux français s’étant mis en embuscade tuèrent un homme qui était sorti du fort et poussèrent en même temps le cri de guerre. Vers midi, trente hommes sortirent du fort se dirigeant vers la troupe de Portneuf.  Ils reçurent une décharge à dix pas. Plusieurs restèrent sur le champ.

Les survivants s’enfuirent poursuivis par les sauvages la hache à la main. Quatre seulement, et blessés encore, purent atteindre le fort. Mais les poursuivants qui s’y étaient engagés trop avant essuyèrent le feu des fortins; un sauvage fut tué et un Français blessé à la cuisse. Le soir, ils sommèrent le grand fort de se rendre; la réponse fut qu’on se défendrait jusqu’à la mort. L’ordre du comte de Frontenac était de n’attaquer aucun fort de peur de perdre trop de monde, mais de ruiner la campagne. Comme les lieux paraissaient avoir été abandonnés sur l’avis d’un soldat d’Hertel que les Anglais avaient pris, Portneuf résolut d’attaquer le fort oü tous les ennemis s’étaient retirés.

Dans la nuit du 26 au 27 mai, les Français s’approchèrent à cinquante pas et se tinrent à couvert grâce à un rocher escarpé.  S’étant emparés d’outils et de barils de goudrons laissés dans les fortins, durant la nuit du 28, ils pratiquèrent une tranchée en direction des palissades. Alors, les assiégés constatant ces travaux et ne pouvant les empêcher, demandèrent à parlementer. Portneuf exigea la reddition du fort avec les munitions et les vivres, promettant bon quartier à la garnison. L’ennemi demanda un délai de six jours, espérant recevoir sous peu du renfort par la mer.

On leur donna la nuit et les travaux furent continués sous une pluie de grenades qui  furent sans effet. Alors le pavillon blanc fut hissé et le commandant se rendit lui-même auprès de Monsieur de Portneuf. Toute la garnison sortit du fort. Elle était formée de soixante-dix hommes sans compter les femmes et les enfants. Tous furent conduits au camp français. Quelques temps après, un bâtiment chargé de monde parut sur la mer, mais comme le pavillon anglais ne flottait plus sur le fort, le vaisseau s’éloigna. Les canons furent encloués, les munitions détruites et le fort brûlé.

Les quelques hommes qui n’avaient pas voulu en sortir en même temps que la garnison furent faits prisonniers et amenés à Québec avec le capitaine Denis, commandant du fort et les deux filles de son lieutenant qui avait été tué. Toutes les habitations qui se trouvaient à deux lieues autour du fort furent brûlées. Portneuf quitta Casco le 1er juin avec sa troupe pour arriver à Québec le 23, veille de la Saint-Jean-Baptiste.

Voici le récit de cette expédition tel que nous le trouvons dans une « Collection de Manuscrits » contenant « Lettres, Mémoires et autres documents historiques relatifs à la Nouvelle-France » (1). Nous y ajoutons quelques explications et considérations dans le but de démontrer que la Chaudière et le Lac Mégantic ont été illustrés par des noms bien français avant de devenir le passage de l’armée d’Arnold en 1775.

L’abbé J.A. Maurault est catégorique à ce sujet. Nous le citons:

« Portneuf à la tête d’un détachement d’Abénaquis et de Canadiens, remonta la rivière Chaudière et alla rejoindre à Kénébec le baron de Saint-Castin qui l’attendait avec une troupe de guerriers abénaquis » (2).

Évidemment, il n’est pas question du Lac Mégantic et pour la raison toute simple qu’à cette époque le lac n’était pas désigné autrement que comme formant la tête de la Chaudière. Ce n’est qu’en 1700 que les Abénaquis vinrent s’installer en l’endroit et que le lac prit le nom de Mégantic, du mot: « Namézokanjic »: lieu où se tiennent les poissons. Dans le manuscrit, il n’est pas question non plus du baron de Saint-Castin dont l’abbé Maurault parle. Mais il est sûrement sur la Kénébec depuis 1670 y étant arrivé avec Monsieur de Grandfontaine, qui, passant par la Chaudière, était allé prendre possession du fort Pentagoet trois ans après le traité de Bréda qui rendait l’Acadie à la France. Le seul fait qu’il y eut embuscade et décharge sur l’ennemi à dix pas suffit à nous assurer de la présence de Saint-Castin.

Plus tard, en 1708, il usera du même stratagème pendant un mois entier contre le colonel Marck qui ne parviendra jamais à s’approcher de Port-Royal avec ses 2,000 hommes. Rameau de Saint-Père s’accorde avec l’abbé Maurault pour suivre Port-Neuf – c’est ainsi qu’il écrit en deux mots de Québec à Casco (3); sans mentionner la Chaudière, il porte à 100 lieues la distance parcourue par ce corps expéditionnaire. Or, c’est bien la longueur de cette route de Québec à Bath.

Rameau de Saint-Père dit que Portneuf rencontra Saint-Castin « non loin de Falmouth sur la baie de Casco »; il donne au fort de Casco le nom de fort « Loyal ». Il est évident que l’historien français n’a pas vu ni lu le manuscrit que nous avons sous les yeux;  il s’est plutôt renseigné dans Garneau, Ferland et Bancrofft. D’ailleurs, il l’indique en note infrapaginale.

Ensuite, il importait peu de signaler la Chaudière, ayant déjà parlé longuement de la route de Kénébec et de son importance en relatant le voyage de Grandfontaine et de Saint-Castin en 1670. Pour lui, c’était l’unique lieu de passage, le fait ayant été maintes fois répété.  J. Edmond Roy, dans son « Histoire de la seigneurie de Lauzon » affirme que: « le Sieur de Portneuf est passé par la Chaudière et le Lac Mégantic ». Interrogé à ce sujet, M. Pierre-Georges Roy nous écrit:  »Vous pouvez affirmer sans crainte de vous tromper qu’en 1690 Portneuf a passé par la Chaudière et le Lac Mégantic. » Et l’éminent archiviste ajoute que s’il n’avait pas suivi ce trajet Portneuf aurait dû descendre jusqu’à la Riviêre du Loup pour se rendre sur la frontière, ce qui n’est pas plausible.

Il est question aussi d’un soldat de François Hertel fait prisonnier par les Anglais. En effet, le groupe de François Hertel était dans la Nouvelle-Angleterre au mois de mars de la même année 1690. Il était descendu beaucoup plus au sud pour atteindre Salmon Falls sur la rivière Piscataqua – du mot Peskata, c’est ténébreux – . Bien qu’il n’en soit pas fait mention, nous sommes portés à croire que Portneuf revint à Québec par le même chemin.

En terminant, nous disons que le colonel Arnold a été bien heureux de laisser, pour l’édification des générations futures, son nom à la rivière qui se jette dans le Lac Mégantic, lui qui n’a essuyé qu’une défaite devant Québec, alors que Portneuf, près d’un siècle avant, avait illustré cette même rivière en y passant avec toute l’auréole de la victoire.

ALBERT GRAVEL, ptre, Société historique des Cantons de l’Est

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(1) Volume 1, p. 497-500

(2) Histoire des Abénaquis, p. 201

(3) Une colonie féodale en Amérique, tome 1, p. 215

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