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La biographie de Jérôme-Adolphe Chicoyne – Épisode 29

Dans cet épisode #29, on raconte les dernières années de J.A. Chicoyne après une carrière mouvementée. Il se retire à Saint-Hyacinthe pour y passer les dernières années de sa vie.

Cette série est tirée du livre de Denis Beaulieu:  »Jérôme-Adolphe Chicoyne, avocat, journaliste, agent d’immigration et de colonisation, entrepreneur, développeur, maire, député ». Elle compte 31 épisodes, échelonnés jusqu’à la fin du mois d’avril.

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Temps de lecture estimé – 17 minutes

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CHAPITRE 71904-1910, SA RETRAITE À SAINT-HYACINTHE

À la fin de sa dernière session au parlement, en novembre 1904, J.A. Chicoyne, maintenant âgé de 60 ans, se sentait très fatigué et voulait aller se reposer. Il quitta alors définitivement la politique active. Ainsi donc, après une trentaine d’années de carrière dans les Cantons-de-l’Est, J.A. Chicoyne alla s’installer à La Providence, dans sa Villa Bellerive, avec sa femme Caroline et sa fille Émélie, maintenant âgée de 29 ans, qui ne s’était pas mariée et qui restait toujours avec ses parents.

La Villa Bellerive, «une luxueuse maison avec une grande galerie», était située sur la rue Saint-Pierre, à La Providence, dans le quartier sud de Saint-Hyacinthe, le long de la rivière Yamaska. Cette résidence était et est encore, sur les bords de la rivière, tout près du pont Barsalou, en face de la rue Saint-Michel.

La photographie suivante nous montre une vue d’ensemble de Saint-Hyacinthe au début des années 1900. La plan de 1922 de la municipalité quant à lui nous indique où se situaient la maison de la rue Girouard (1) et la maison de la rue Saint-Pierre (2).

Vue d’ensemble de Saint-Hyacinthe, avec le pont Barsalou, à gauche, et l’ancienne cathédrale, au centre[1].

Localisation des résidences de J.A. Chicoyne (1 et 2) sur le plan d’assurance de St-Hyacinthe pour 1922[2]

Villa Bellerive, rue Saint-Pierre, La Providence, vers 1900[3].

Petite anecdote : le 1er août 1904, J.A. Chicoyne a reçu un avis de la municipalité de La Providence qui l’obligeait à réparer son trottoir en face de sa propriété, dans les cinq jours, sinon la municipalité l’aurait réparé aux frais de J.A. Chicoyne[4].

Le temps de s’installer, de renouer contact avec la parenté et les amis, d’écrire quelques articles pour le journal Le Courrier de St-Hyacinthe et les journaux de Montréal, J.A. Chicoyne, en février 1905, fut atteint d’une crise d’apoplexie. Sûrement qu’il dût faire un séjour à l’hôpital de Saint-Hyacinthe. Toutefois, à sa sortie, il demeura partiellement paralysé et presque complètement sourd et muet.

Comme bien d’autres gens de son époque, et comme il se produit souvent encore aujourd’hui, J.A. Chicoyne, après 35 ans de labeur et un repos bien mérité, n’a pu jouir paisiblement de sa retraite. Il fut constamment emprisonné dans sa maladie.

Grâce à l’aide de sa femme Caroline et de sa fille Émélie, il put continuer à écrire les articles qu’il envoya régulièrement aux journaux. Plusieurs de ses articles furent signés du pseudonyme IGNOTUS.

Ses seuls plaisirs furent la recherche, la lecture et l’écriture. Dans son fonds d’archives, nous retrouvons toute une correspondance avec son ami J.A. Chagnon, le propriétaire du Journal de Waterloo, en 1906, concernant une biographie qu’il voulait écrire au sujet de Gabriel Caron, le beau-père de J.A. Chagnon, lequel était le frère du lieutenant-gouverneur Caron et du Grand Vicaire de Trois-Rivières. Ainsi, J.A. Chicoyne, malgré sa maladie, tenta toujours de garder son esprit éveillé et alerte.

Toutefois, le 3 juin 1909, sentant qu’il devait mettre de l’ordre dans ses affaires, J.A. Chicoyne ainsi que sa femme Caroline, devant le notaire Elzéar Chabot de Saint-Hyacinthe, vendirent à leur fille Émélie le terrain, la maison et tous les biens meubles, effets mobiliers et objets d’ornement qui se trouvaient dans la maison, pour la somme de 1 600 dollars, laquelle somme fut payée comptant[5].

Voici un autre fait intéressant que nous apprend ce même contrat de vente :

Les parties déclarent que depuis l’âge de majorité de la dite acquéreure, elle administre seule, et à son compte personnel, son avoir, et le fruit de ses économies; et qu’à la date de sa majorité, le treize septembre mil huit cent quatre vingt quatorze, elle est devenue la propriétaire de tout le roulant que les vendeurs possédaient alors, et qu’elle en a joui et usé depuis, à titre de propriétaire, cet arrangement de famille fut fait par acte ou mémoire, sous seing privé, qui a été annexé aux présentes, […][6].

Ainsi à l’âge de 36 ans, Émélie Chicoyne devint propriétaire de tous les avoirs de son père Jérôme-Adolphe et de sa mère Caroline.

Le dernier article que J.A. Chicoyne publia dans La Patrie, parut le 17 septembre 1910, à la page 27, soit deux semaines avant son décès. Cet article était intitulé Le Pèlerin de Verchères et signé : IGNOTUS. Le récit relatait une tradition orale qui avait toujours été perpétuée dans la famille Chicoyne.

(Ndlr : Voici donc ce dernier article de J.A. Chicoyne, daté d’août 1910, qui est retranscrit dans la deuxième partie du livre, au document # 7).

DERNIER ARTICLE DE J.A. CHICOYNE

LE PÈLERIN DE VERCHÈRES

Le souvenir des choses qui sont relatées dans les lignes suivantes, ne fut conservé pendant  [… illisible … ] par simple tradition orale.

En 1864 une octogénaire, née à Verchères en 1777 et bien au courant de cette tradition, eut l’idée de la communiquer à un petit-neveu, élève de rhétorique, pour qu’il lui donnât une forme littéraire.

Ce jeune étudiant accomplit sa mission et mit une scrupuleuse exactitude à se conformer au récit de la vieille tante.

Ce manuscrit étant en ma possession, j’ai pensé qu’il devrait être livré à la publicité, avec de légères modifications, et qu’il serait lu par plusieurs de nos compatriotes, d’autant plus qu’il semble constituer une page inédite des annales de Sainte-Anne.

La cession du Canada à l’Angleterre fut loin d’être regrettée par la classe agricole. Notre pays étant débarrassée du déplorable gouvernement, dont la France l’avait affligé vers la fin de son règne, ses habitants se trouvèrent bientôt à jouir d’une ère de prospérité, inconnue depuis longtemps. Grâce au rétablissement de la paix, le commerce prit un grand essor. Les producteurs de céréales, surtout, vendaient leurs produits à des prix élevés et étaient payés en monnaie de bon aloi. Bon nombre de cultivateurs à Verchères comme ailleurs, en profitèrent pour conquérir, sinon la fortune, du moins une honnête aisance. Au nombre de ces derniers était François Chicoyne, qui savait faire valoir son domaine avec succès.

Il était le petit-fils du propriétaire et premier occupant du fief Bellevue. Le 1er juillet 1737, il s’était marié à Françoise Dansereau, qui fut une épouse modèle. Devenue mère de neuf enfants, elle éleva sa famille chrétiennement et elle trouva le moyen de seconder son mari dans son administration. C’était un ménage béni sous tous rapports, et voyant sa prospérité augmenter à vue d’œil.

Hélas! L’heure des épreuves devait bientôt sonner pour cet heureux foyer.

Vers la fin de septembre 1765, Françoise Dansereau entreprit un voyage à Montréal, pour régler certaines affaires et pour faire des emplettes. Elle portait sur elle la somme de 600 francs en argent blanc. Elle partit en canot avec ses fils François et Jean-Baptiste (1), deux bons canotiers et quelque peu nageurs. Le trajet fut exempt d’accident, excepté en arrivant au Pied du Courant, alors qu’un coup de vent violent et subit, fit chavirer le canot, précipitant les trois occupants dans les flots.

La mère sombre pour ne plus reparaître, ce qui fut attribué au poids d’argent qu’elle avait avec elle. Les deux fils purent se cramponner aux deux extrémités de l’embarcation en attendant du secours. Tous les efforts tentés pour repêcher le cadavre de la noyée furent inutiles.

Il est facile de concevoir quelle explosion de douleur marqua le retour des deux jeunes gens à la maison paternelle. Les enfants étaient inconsolables d’avoir perdu la meilleure des mères, le père ne cessait de pleurer le malheur qui le frappait. Il était constamment en prière et prenait des moyens de faire prier pour l’âme de sa pauvre défunte. C’est sous l’empire de ces sentiments qu’il fit vœu de se rendre à pied, à la Grande Sainte-Anne du Nord. C’est le nom que l’on donnait généralement dans les paroisses de la rive sud à Sainte-Anne de Beaupré.

Après s’être approché de la sainte table, dans la matinée, il partit pour exécuter son projet, le 6 janvier 1766. À part son bâton de voyage, il prit à peine une vingtaine de francs avec lui. Les adieux furent des plus touchants. Malgré les conseils donnés par le fils aîné Pierre, les enfants ne pouvaient se résigner à voir partir leur père pour un pareil voyage. Ils manifestaient ouvertement leur crainte de ne plus le voir vivant. Il leur répondait d’avoir confiance à Dieu que son sort était entre ses mains et qu’il se soumettait à sa volonté.

Pour gagner la rive nord, qu’il devait suivre ensuite jusqu’au lieu de sa destination, il entreprit de traverser le Saint-Laurent sur la glace. Rien ne faisait prévoir que le début même de son trajet lui serait fatal. Rendu à une centaine de pieds du rivage, il tomba dans une mare, qu’une couche de neige durcie dérobait à l’attention et il fut englouti sous la surface gelée du fleuve. Des sondages nombreux et de patientes recherches furent faits sans retrouver le cadavre. Ce drame créa le plus vif émoi parmi la population, chacun tâchait d’adresser des paroles de consolation à ces pauvres enfants, plongés dans un double deuil. Si encore il leur avait été permis d’espérer pouvoir enterrer leur père à côté de ses ancêtres, dans le cimetière paroissial; mais l’opinion des hommes d’expérience était que le corps serait entraîné à la mer par la débâcle du printemps.

Dans les premiers jours du mois de juin, on trouvait un cadavre échoué sur la grève juste en face de l’église de Sainte-Anne de Beaupré. Le fait fut dénoncé aux autorités et fit les constatations légales. Tout indiquait que le défunt, qui paraissait âgé d’une cinquantaine d’années s’était noyé accidentellement, ne portant aucune trace de violence. Rien sur lui ne permettait de l’identifier.

On se préparait donc à l’enfouir en terre profonde, lorsque survint un pèlerin qui venait, comme tant d’autres, faire acte de dévotion envers la Grande Thaumaturge. Mis au courant de la lugubre découverte qu’on venait de faire, il demanda et obtint la permission de voir le noyé. Quel ne fut pas sa surprise et sa stupeur de se trouver en face de son cousin germain François Chicoyne, dont il avait été témoin de la fin tragique le 6 janvier précédent ! Ce cousin s’appelait Pierre Dozois, il était cultivateur à Verchères. Sa visite imprévue valut au malheureux noyé une sépulture convenable.

Ces faits sont consignés dans les registres de Sainte-Anne, à la date du 13 juin 1766. On y trouve quelques erreurs qui ne portent guère à conséquence, comme par exemple le noyé qui y est inscrit sous le nom de Pierre au lieu de François.

L’abbé Tanguay a naturellement répété l’erreur dans ses ouvrages généalogiques.

Avant de partir pour revenir à Verchères, Pierre Dozois déclara que, selon toute probabilité, les enfants du défunt feraient des démarches pour transporter les restes de leur père quand la saison froide serait venue et il chargea le bedeau de placer sur la fosse, qu’il venait de creuser, une croix et d’autres indications pouvant la faire reconnaître. L’ordre fut exécuté. Le bedeau planta une croix en bois blanc, sur laquelle il traça quatre lettres : l p d v étant l’abréviation de : ‘’le pèlerin de Verchères’’.

Cette translation des restes du pèlerin n’eut pas lieu, suivant l’avis du curé de Verchères.

Ce vénérable pasteur persuada les intéressés que les circonstances vraiment providentielles ayant mené l’inhumation du défunt en terre sainte, à l’ombre du sanctuaire de la Bonne Sainte-Anne, c’était évidemment là qu’il était destiné à reposer en paix.

IGNOTUS.

Août 1910.

(1) Jean-Baptiste fut le père de cette fille, née en 1777 et qui devenue octogénaire, fit mettre par écrit la substance du présent récit.


[1] Collection du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, CH085-021-000-0001 [ca 1905].

[2] Collection du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Plan d’assurance de St-Hyacinthe pour 1922.

[3] Collection du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, L.J. Séguin 1886, CH478-020-000-012.

[4] CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE. Fonds Jérôme-Adolphe-Chicoyne : CH008/000/000/030.020 : Avis du village de La Providence obligeant J.A. Chicoyne à réparer son trottoir, le 1er août 1904, 1 p.

[5] BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS. Contrat # 5074 RB, 3 juin 1909, Circonscription foncière de Saint-Hyacinthe, Saint-Hyacinthe.

[6] BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS. Contrat # 5074 RB, 3 juin 1909, Circonscription foncière de Saint-Hyacinthe, Saint-Hyacinthe, p. 3.

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Dans l’épisode #30, c’est la fin pour J.A. Chicoyne. Il va mourir à l’âge de 66 ans, le 30 septembre 1910.

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