Cette chronique régulière traite du patrimoine toponymique de la Ville de Sherbrooke. Ces articles nous viennent de Jean-Marie Dubois, membre émérite de la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est, et de Gérard Coté, membre de la Société d’histoire et du musée de Lennoxville-Ascot.
Aujourd’hui nous faisons connaissance avec la halte Germain-Nault, dans le secteur de Bromptonville, pas très loin de l’autoroute 55, l’autoroute Transquébécoise. Elle fut nommée ainsi pour commémorer la mémoire de Germain Nault, un vétéran de la deuxième guerre mondiale de la région de l’Estrie, décédé récemment en 2014, qui a participé à la libération de la France, de la Belgique et des Pays-Bas.

Source: Commission de toponymie du Québec.
Temps de lecture estimé – 15 minutes
*****
Germain-Nault, Halte
Vétéran de la Deuxième Guerre mondiale (1920-2014)

Photo de Germain Nault prise lors de la cérémonie de remise de la Légion d’honneur, courtoisie du lieutenant-colonel Marcel Lapointe, Saint-Denis-de-Brompton.
Germain Nault est né dans le rang VIII de Saint-Élie-d’Orford, le 27 octobre 1920. Il est l’aîné des treize enfants de Florina Provencher (Saint-Georges-de-Windsor 27-09-1899—Bromptonville 09-02-1982), institutrice, et d’Elphège Nault (Saint-Marcel 20-09-1895—Bromptonville 11-05-1973), agriculteur et employé de la Brompton Pulp and Paper. Ces derniers s’étaient épousés en l’église de Sainte-Praxède, à Bromptonville, le 30 septembre 1919. Le couple vend sa ferme de Saint-Élie-d’Orford en 1923 et en achète une autre à Bromptonville.
De 1926 à 1933, Germain fait son cours primaire à l’école de rang, tout en travaillant sur la ferme familiale. De 1933 à 1939, il travaille pour le maraîcher Wilfrid Caron dans la partie du canton d’Ascot qui est devenue Ascot-Nord en 1937 puis Fleurimont en 1971. De 1939 à 1941, il travaille au nettoyage des machines à tisser à la Dominion Textile de Sherbrooke et fait aussi du camionnage pour Marquis Transport.
Le 29 septembre 1941, Germain s’enrôle dans l’Armée canadienne au camp Lord Sherbrooke, à Collinsville (annexé à Sherbrooke en 1942), alors dirigé par le lieutenant-colonel John S. Bourque. Il y fait de l’entraînement jusqu’en janvier 1942 alors qu’il est affecté à la 1ère Division d’infanterie canadienne. Il est versé dans le Royal 22e Régiment en février 1942 au camp de Valcartier, où il est affecté aux transports et à l’entretien des véhicules, dont les chenillettes blindées d’infanterie Bren Gun Carrier.
Le 14 juin 1942, il rejoint Halifax par train, embarque sur le Letitia II le 15 et arrive à Glasgow, en Angleterre, le 23 juin. Il est affecté au camp d’Aldershot, dans le Hampshire. Son entraînement est interrompu en juillet 1942 à cause d’une blessure au genou. Il est alors versé aux transports dans le Régiment de la Chaudière, qui appartient à la 8e Brigade de la 3e Division d’infanterie canadienne, basée à Pevensey puis à Shoreham dans le Sussex. Il y suit des cours de mécanique et de manœuvre de tous types de véhicules, de la motocyclette aux chars d’assaut. En septembre 1943, à Inveraray en Écosse, il participe à des manœuvres de véhicules pour simuler un débarquement dans les eaux littorales.
Le 29 mai 1944, son régiment quitte Shoreham vers les zones d’embarquement de l’opération Overlord (jour J), pour l’invasion de la Normandie [voir rue de Normandie]. Le 2 juin, son régiment embarque à Southampton et Germain est affecté à une chenillette Bren Carrier transportant des munitions pour la 8e Brigade. Outre le Régiment de la Chaudière, cette brigade compte le Queen’s Rifles of Canada et le North Shore du Nouveau-Brunswick.
Dans la nuit du 5 au 6 juin, la brigade traverse la Manche sur un Landing Craft Tank et atteint la plage Juno, à Bernières-sur-Mer. Malgré la pluie de projectiles, l’équipement de son véhicule ayant été adapté au débarquement dans l’eau, Germain doit prendre le temps de le modifier pour le transport sur terre.
Le 7 juin, il est fait prisonnier par cinq Allemands à La Mare, mais réussit par subterfuge à les amener jusqu’aux lignes canadiennes et à les faire prisonniers à leur tour le lendemain. Avec le Sherbrooke Fusilier Regiment de la 2e Brigade blindée canadienne [voir rue des Fusiliers], son régiment participe à la bataille et à la libération de Carpiquet, du 4 au 12 juillet, et de Caen [voir rue de Caen], du 12 au 19 juillet.
Son régiment prend Falaise le 21 août et participe à la libération des ports de Boulogne et de Calais sur la Manche en septembre. En octobre, il participe à la campagne de l’Escaut en Belgique et libère le port d’Anvers, avant que les Allemands ne puissent le détruire. D’octobre 1944 à février 1945, son régiment est en position défensive à Niomègue, aux Pays-Bas.
À Noël 1944, Germain reçoit un paquet venant de Bromptonville qui contient, entre autres, des bas tricotés par une certaine Stella Grégoire. À la fin de février 1945, son régiment délivre Hollen, près de Kappeln aux Pays-Bas. À la fin de mars, son régiment franchit le Rhin pour nettoyer le nord des Pays-Bas et libère Zutphen le 5 avril et Zwolle à la mi-avril. Le 24 avril, son régiment franchit la frontière allemande à Bünde et prend la base navale d’Emden le 2 mai.
Le cessez-le-feu ayant été déclaré le 5 mai et la reddition allemande signée le 8 mai, son régiment quitte l’Allemagne à la mi-mai pour Amersfoort et Leersum aux Pays-Bas. Il y est promu caporal. Son régiment revient à Aldershot en Angleterre à la mi-décembre. Germain arrive à New York sur le Queen Elizabeth le 28 décembre 1945, à la gare du Palais à Québec puis à Sherbrooke le 30. Il est démobilisé le 8 février 1946.
Germain se rend au magasin général d’Alphonse Grégoire à Bromptonville pour remercier sa fille Stella (Bromptonville 03-04-1916—Sherbrooke 11-03-1998) pour son cadeau de Noël 1944. Ils se fréquentent et ils s’épousent en la cathédrale de Saint-Michel, à Sherbrooke, le 17 août 1948. Ils n’auront pas d’enfants car Stella a dû subir une opération aux ovaires à l’âge de 19 ans. Après sa démobilisation, Germain travaille d’abord trois mois à la Brompton Pulp and Paper, puis devient plâtrier pendant une dizaine d’années.
En 1958, il commence à travailler à la Gypsum Lime and Alabastine Canada (achetée plus tard par DOMTAR) à Montréal. Il y devient représentant technique et des ventes en matériaux de construction : produits de plâtre, briques et chaux. Ce travail l’oblige à donner des cours et des conférences à travers le Canada, ce qui l’amène à suivre des cours d’anglais à l’Université McGill ainsi que le cours de pédagogie Teach the teacher. À la suite d’une crise cardiaque en 1979, il cesse de fumer et prend sa retraite au début de 1980. Il est, entre autres, un fervent golfeur et pratique ce sport pendant six mois chaque hiver à son condo de Daytona Beach en Floride. Il se fait aussi une compagne, Pauline Watier.
Le 9 novembre 2000 à Sherbrooke, avec 35 autres vétérans qui ont participé à la libération de la France, il reçoit un certificat de la consule générale de France, Françoise LaBihan. D’environ 2000 à 2003, il prononce également des conférences sur sa vie militaire dans les écoles. Pendant 30 ans, il ne manque qu’une seule des réunions de l’Amicale du Régiment de la Chaudière.
En 2011, il reçoit la Médaille de l’Assemblée nationale du Québec. Le 13 septembre 2014, il reçoit la Légion d’honneur française au manège militaire du Colonel-Gaétan-J.-Côté des Fusiliers de Sherbrooke, des mains du consul honoraire de France en Estrie, François Gitzhofer. Son nom est aussi inscrit sur la Carte commémorative du Canada. Comme ça été le cas pour son épouse en 1998, il décède d’un cancer à la Maison Aube-Lumière, à Sherbrooke, le 23 septembre 2014. Il est inhumé avec son épouse dans le cimetière paroissial de Sainte-Praxède.

Lieu de repos de Germain Nault et de son épouse dans le cimetière Sainte-Praxède de Sherbrooke, secteur de Bromptonville. Source de la photo: FindAGrave.com
Cette halte d’une superficie de 300 m2 est située à l’intersection sud-est des rues Laval et Saint-Lambert. Le nom est attribué par le conseil municipal de Sherbrooke lors de sa réunion du 19 octobre 2015. Le toponyme est attribué par la Commission de toponymie du Québec, le 27 novembre 2015. Cet espace est délimité depuis 1978 quand la géométrie de cette intersection a été modifiée pour favoriser la circulation par la rue Laval plutôt que par la rue Saint-Lambert, à la suite de l’ouverture d’une partie de l’autoroute Transquébécoise (A55). C’est cet espace, qui se trouve en fait dans l’emprise des deux rues, que le Service de la planification et du développement urbain ne voulait pas désigner du nom de Florence Nadeau en 2010 [voir ruisseau Florence-Nadeau].

Halte Germain-Nault, Bromptonville. Source: Radio-Canada (2016).
Cet espace, au départ uniquement gazonné, était aménagé avec une plate-bande et des bacs de fleurs ainsi que du mobilier urbain depuis la fin des années 1990. Il est complètement réaménagé à l’automne 2015 et au printemps 2016 au coût de 90 000 $ avec un espace piétonnier dallé d’ardoise, des plates-bandes de fleurs et du mobilier urbain.
Une sculpture, intitulée L’hoir, de Valérie I. Gosselin, y est aussi installée. Le mot hoir vient du latin populaire herem qui signifie héritier et exprime ici le désir de la population de préserver l’héritage des personnages, des événements et des lieux qui ont marqué l’histoire de Bromptonville. Cette sculpture représente une ancre, découpée dans une plaque d’acier, et posée sur un bloc d’ardoise locale. L’ancre est représentative de celle du vapeur L’Enterprise qui a circulé entre Sherbrooke et Bromptonville, au moins en 1878 et 1879. L’ancre originale se trouve au pied de la croix, située sur la rue de la Croix.
La halte est inaugurée avec les membres de la famille, le 16 août 2016. Elle est un jalon dans le projet de mise en valeur de l’arrondissement de Brompton.
Renseignements
Allard, Ghislain (2016), Une place publique qui porte le nom de « halte Germain-Nault ». Le Sherbrooke Express, vol. 2 , no 38, 24 août 2016, p. 2.
Anonyme (2000), Veterans honoured for role in liberating France. The Record, 10 novembre 2000, p. 7.
Custeau, Jonathan (2015), Arrondissement de Brompton : Une halte au nom de Germain Nault. La Tribune, vol. 105, no 209, 29 octobre 2015, p. 6.
Doyon, Marilou et Doyon, Martine (2012), J’ai survécu au débarquement : Germain Nault, ancien combattant, se raconte. Les Éditions JCL, Chicoutimi, 244 p.
Dubois, Jean-Marie et Coté, Gérard (2019) Caporal Germain Nault (1920-2014). In Dubois, Jean-Marie et Samson, Gilles (réd.) Visages estriens : Hommage à nos militaires. Vol. 1, Société de généalogie des Cantons-de-l’Est, Sherbrooke, p. 230-231.
Fiche de renseignements toponymiques complétée par Clément Nault (son frère), le 15 janvier 2015.
Gouvernement du Canada (2021), Carte commémorative du Canada. https://cartes.canada.ca/journal/content-fr.html?lang=fr&appid=255b1d3aaba446e5b2406977db503f22&appidalt=3f3247733f244707bb77cd94a3c5ff, consulté le 13 septembre 2021.
Généalogie Québec, Famille Nault. Fichier Connolly : https://www.genealogiequebec.com/membership/searchConnolly.aspx, consulté le 22 novembre 2010.
Huard, Gilles (2010), Cimetière Ste-Praxède, Brompton : http://www.cimetiere.info/, consulté le 22 novembre 2010.
Montambeault, Catherine (2016), Une halte à l’image d’un héros. La Tribune, vol. 107, no 149, 17 août 2016, p. 4.
Photographies aériennes du Gouvernement du Québec de 1971, 1977, 1978, 1979, 1988, 1993, 1995, 1998 et 2002, conservées à la cartothèque Jean-Marie-Roy de l’Université de Sherbrooke.
Plante, Claude (2014), Le vétéran Germain Nault n’est plus. La Tribune, vol. 105, no 180, 24 septembre 2014, p. 5.
Renseignements biographiques et historiques par Clément Nault à Jean-Marie Dubois, octobre 2012 et le 8 octobre 2015.
Rey, Alain réd., Dictionnaire historique de la langue française. Dictionnaires Le Robert, Paris, p. 956.
Jean-Marie Dubois (Université de Sherbrooke) et Gérard Coté (Société d’histoire et du Musée de Lennoxville-Ascot)
14 septembre 2021
*****
Cliquez ici pour retourner aux épisodes précédents de cette série.
Cliquez ici pour retourner à la page d’accueil du site pour lire ou relire d’autres articles.
__________
L’Entraide numérique est un site Web de publication d’articles publié par la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est (SGCE) ayant pour objectif le partage des connaissances de nos membres. Il se veut un complément à notre revue L’Entraide généalogique. Ce site Web publie trois fois par semaine, soit les lundis, mercredis et vendredis, sur des sujets liés à la généalogie, à l’histoire ou au patrimoine québécois. Le site est ouvert à tous, membres et non-membres de la SGCE.





