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Les vieux métiers – Le chaloupier

Madame Denise Dodier-Jacques avait écrit dans L’Entraide généalogique une série d’articles connue sous le nom Les Vieux Métiers. Cette série a été publiée il y a une trentaine d’années, en 20 épisodes échelonnés entre 1990 et 1996. Peu d’entre vous se rappellent donc de cette série qui a marqué son époque. Pas moins de quatre de ces articles s’étaient mérités le prix Raymond-Lambert du meilleur article de l’année.

Nous avons retracé les 20 épisodes en question qui vous seront présentés graduellement au fil des prochains mois. Ce quatrième article intitulé Le chaloupier a été publié il y a près de 30 ans, soit à la fin de 1994. Il reflète donc l’état des choses à cette époque.

Madame Denise Dodier-Jacques (photo de la revue L’Entraide généalogique 1994 no. 17-4)

Temps de lecture estimé – 12 minutes

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LE CHALOUPIER

Le constructeur de chaloupes, appelé communément «chaloupier»*, est un artisan qui construit des chaloupes pour son propre compte, aidé, souvent par sa famille, par des apprentis. Il a un talent pour le travail du bois et la maîtrise des techniques de construction.

Trouver dans ses papiers une description de chaloupe en bois peut passer inaperçue pour certaines personnes, tandis que pour d’autres l’intérêt est tout différent.

Pour cette description, il faut se reporter au 27 octobre 1702, alors que Pierre Dupré, seigneur du Gouffre, passe un contrat devant le notaire Michel Le Paillieur. En effet, Pierre Dupré achète une chaloupe de Jean Gautier, ‘’maistre charpentier le mastier pour le roy en ce païs’’ au coût de 400 livres. « La chaloupe contenant vingt-deux pieds de quille et du pont de quatre thonneaux ou environ avec les agres et apparaux, garnie de son mât voilles manoeuvres un petit cable d’environ vingt brasses et une bosse et visse double et autres menues manoeuvres. ». Le vendeur n’est pas tenu au ‘’calfat’’ de la chaloupe.

L’usage de cette chaloupe est inconnu. Il est plausible de croire qu’elle servait au transport de marchandises entre Baie St-Paul et Québec, entre autre au transport de bois de chêne. Le mot chaloupe au 16e siècle désignait une embarcation de plus grande dimension que la barque (Dict. des difficultés de la langue française au Canada par G. Dagenais).

Les origines de la navigation remontent à l’antiquité. En ce temps, les hommes utilisaient des troncs d’arbres vidés ou reliés entre eux, des radeaux ou des bateaux comme premiers modes de transport sur l’eau. Ils ont inventé avec le temps l’architecture navale pour répondre à leur désir d’aller plus vite et plus loin en mer et ce, dans de meilleures conditions de sécurité.

La navigation fluviale et maritime est pratiquée depuis les temps bibliques. Les Phéniciens, dès l’an 1000 av. J.-C., effectuaient de longs voyages pour leur commerce sur les mers Noire et Méditerranée. Les Carthaginois et les Grecs installèrent des ports pour recevoir leurs vaisseaux qui allaient à la découverte de nouvelles terres et de nouveaux marchés. Les Romains ont peu fait progresser la navigation jusqu’à l’introduction de la boussole. Quant aux Vénitiens, Génois et Arabes, ils furent les meilleurs navigateurs du Moyen Âge.

Les raisons de naviguer étaient différentes: ce pouvait être dans le but d’acquérir de nouvelles connaissances géographiques et ethniques, pour le commerce des épices, pour l’aventure, pour le pillage de navires ou pour s’emparer d‘un pays.

Au début de la colonie, la construction de chaloupes répondait à un besoin car nul chemin carrossable ne reliait les grands centres et encore moins les petits. Le trajet terrestre, par les grèves, particulièrement le long du St-Laurent, ne permettait pas de transporter de lourds effets de ravitaillement et d’approvisionnement de toutes sortes. De plus, le trajet terrestre, allongeait la durée du voyage. Ce mode de transport, par bateau présentait certains dangers, mais il était la solution au problème du transport dans la colonie.

L’importance de la navigation en Nouvelle-France a permis à l’industrie de la construction de navires de bois de se développer dès les débuts de la colonie. En effet, l’intendant Talon donna la première poussée à cette activité. Le chêne canadien convenait bien à la construction de bateaux. L’entreprise privée, avec l’augmentation du commerce, ne participait que très faiblement à l’évolution de la construction navale. C‘est alors que l’intendant Hocquart réalisa un projet important, celui d‘établir un chantier royal à Québec. L’industrie de la construction des navires en bois au Québec connut un essor au début du 19e siècle. Très prospère, elle procura du pain à des milliers d’ouvriers.

La plupart des anciens «chaloupiers» ne savaient ni lire ni écrire, ils comptaient difficilement, leurs connaissances étaient rudimentaires. Ils bâtissaient selon l’expérience traditionnelle, ce qui leur demandait moins de calculs. Le métier de «chaloupier» était comme une seconde nature.

Big John and Party Shooting, Lachine Rapids, Toronto, W. G. MacFarlane, [entre 1903 et 1907]. Source: BAnQ.

L’apprentissage du métier se transmettait de père en fils, habituellement lorsque le père se faisait vieux. Plusieurs «artisans-chaloupiers» conservaient secrètement «leurs traditions techniques», de construction de chaloupes qui flottaient bien et avaient belle allure. Pour les autres intéressés à apprendre leur art, c’était difficile, mais ils y arrivaient en observant adroitement les vieux artisans avec qui ils travaillaient ou bien à force de pratique, d’expérience, leurs recherches finissaient par les mener à de bons résultats.

La construction d’une chaloupe demande de bons calculs pour en assurer la stabilité et pour en déterminer le tirant d’eau. Le «chaloupier», peut la construire en fonction d‘un plan d’eau particulier. Un travail qui demande beaucoup de patience.

«L’artisan-chaloupier», travaille habituellement dans sa «chalouperie». Il se choisit un emplacement favorable, spécialement sur le bord des grèves, pour faciliter la mise à l’eau de sa chaloupe. Il peut travailler sur des sites d’occasion, face au quai, dans de vieilles granges destinées à cet usage. Il peut aussi radouber des bateaux.

Le «chaloupier » apporte un grand soin dans le choix des bois pour la construction de ses chaloupes. Il existe des essences qui ont fait leurs preuves depuis longtemps: le chêne, le pin sylvestre, le sapin, le cèdre, le cyprès, l’acajou, le teck. Avant de commencer ses travaux, l’artisan doit s’assurer que les bois soient secs et bien débités.

Le chevillage est essentiel tant pour garantir la solidité à la mer que pour assurer l’étanchéité du bateau. Pour cette opération, il emploie différentes pièces faites de laiton, de bronze, de cuivre (résistant à l’eau de mer), de fer galvanisé. On retrouve parmi ces pièces des boulons, des chevilles à bout perdu, des boulons à pentures ou vis de métier, des vis à bois, des tire-fond, des goujons à bout fileté, des pointes de cuivre, des clous galvanisés.

Pour effectuer son travail, «l’artisan-chaloupier» employait les outils traditionnels du constructeur de bateaux: hache de charpentier, herminette, patarasse, maillet; des outils de base: rabot, égoïne, scie, gouge, chignole, lime, vilebrequin; des outils qui accélèrent la construction: plane, vastringue, guillaume, équerre, foret, tarière et autres outils modernes qui se sont ajoutés.

Diverses opérations sont effectuées pour la fabrication d’une chaloupe. «L’artisan-chaloupier», doit bien choisir les différentes sortes de bois nécessaires, les couper, les transporter et respecter les plans. Ces préparatifs terminés, il taille, façonne dans le bois les pièces désirées et les rassemble. Puis c’est le revêtement, et le calfatage: une attention spéciale est donnée à cette opération car l’étanchéité du bateau en dépend. La chaloupe est mise à flot grâce à la rampe de lancement sur laquelle elle est posée. Les travaux de finition et le «fréage» se font après le lancement. Un essai de la chaloupe se fait avant la livraison de celle-ci.

Nous trouvons sur le marché différentes sortes de bateaux. Il y en a pour tous les goûts, dans plusieurs formes et de tous les prix: canot d’écorce, barque, yacht, goélette, doris, «flat» pour le ramassage du bois, barge, sloop, drague, esquif…

Des noms sont donnés à toutes les pièces d’un bateau, des mots connus et d’autres moins: mât, misaine, hauban, gréement, proue, coque, agrès, apparaux, hunier, bosse, gournable, étrave.

La construction de bateaux a été et demeure toujours importante. Depuis toujours le bateau rend service à l‘homme, il peut être un moyen d’évasion, un instrument de travail, un instrument de guerre. Le modernisme a touché aussi l’industrie de la construction des navires de bois.

Construire une chaloupe, voir une pile de bois devenir petit à petit une belle coque, quelle joie! Les bateaux de bois, c’est plutôt une chose du passé. Très peu d’artisans fabriquent des chaloupes traditionnelles. Plusieurs «chaloupiers» ont laissé leurs marques dans la construction de goélettes, de chaloupes. D’autres ont aussi contribué à faire survivre cette industrie et l’art de la construction de navires de bois. «La chalouperie Godbout, avec sa collection complète d’outils de chaloupier, témoigne de cette activité.»

Et si vous passiez à l’île d‘Orléans, visitez cette *chalouperie»?…

Bibliographie

  • Desgagnés, Michel. Les goélettes de Charlevoix, les Éd. Leméac inc. Ottawa, 1977.
  •  Encyclopédie Grolier, tomes III et VII, La Société Grolier du Canada ltée, 1954.
  • Collection à la Découverte, tome IV, Grolier, Bruxelles, Genève, Montréal, Paris, 1973, pp. 73-102.
  • Bribes d’Histoire Méchinoise, Imprimerie du Golfe inc. Rimouski, 1983, pp. 579-586.

* CHALOUPIER est un québécisme, il désigne un fabricant de chaloupes.

Ce terme existe dans:

– Le Glossaire du parler français au Canada

– Le Dictionnaire de la langue québécoise (L. Bergeron).

– Le Dictionnaire des canadianismes (Larousse).

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