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Les vieux métiers – Le maréchal-ferrant

Madame Denise Dodier-Jacques avait écrit dans L’Entraide généalogique une série d’articles connue sous le nom Les Vieux Métiers. Cette série a été publiée il y a une trentaine d’années, en 20 épisodes échelonnés entre 1990 et 1996. Peu d’entre nous se rappellent donc de cette série qui a marqué son époque. Pas moins de quatre de ces articles s’étaient mérités le prix Raymond-Lambert du meilleur article de l’année.

Nous avons retracé les 20 épisodes en question qui vous seront présentés graduellement au fil des prochains mois. Ce septième article intitulé Le maréchal-ferrant a été publié il y a près de 30 ans, soit à la fin de 1994. Il reflète donc l’état des choses à cette époque.

Madame Denise Dodier-Jacques (photo de la revue L’Entraide généalogique 1992 no. 15-3)

Temps de lecture estimé – 17 minutes

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LE MARÉCHAL-FERRANT

Il n’était pas le premier, ce Joseph Dodier à exercer le métier de forgeron. Pourtant, ce métier inscrit sur un acte de baptême en 1812, a suffi à me ramener dans le passé. Je me revoyais enfant accompagnant mon père chez le forgeron. Enfin, j’entrais dans ce lieu de rencontre où tant d’hommes allaient et venaient, discutant de divers sujets, les institutrices, la température, les curés. Du même coup j’ai vu la cause des bruits entendus lorsque nous passions devant la boutique du forgeron en allant à l’école. C’était le martèlement du fer sur l’enclume, qui en plus de sonner faisait jaillir des étincelles. J’ai aussi vu: le feu de forge avec son nid de charbon (maréchale) qui rougissait un fer à cheval, le maréchal-ferrant (aussi forgeron) enfoncer des clous à coups de marteau dans le sabot d’un cheval; la façon douce du maréchal approchant la bête pour lui faire donner sa patte. Avait-il des paroles magiques? Le maréchal travaillait, calmement sous les regards admirateurs des gens présents dans l’odeur et la fumée de corne (hératine) brûlée causé par l’ajustement du fer encore chaud. Tout ceci m’a amené à des recherches.

L’origine du premier fer à cheval se perd dans l’histoire. Les Romains, qui ignoraient la ferrure à clous, ont inventé la solca ou hipposandale. Cette chaussure en fer du sabot était réservée aux chevaux blessés du pied, ce qui leur permettait de guérir en marchant au pas.

Au IXe siècle, le fer à clous apparaît pour la première fois et en même temps sur des documents dessinés byzantins et latins; du IXe au XIIe siècle, le fer à clous est peu utilisé tandis qu’il s’impose au XIIe siècle. La ferrure devient plus légère au XVIe siècle. Elle est étroite, ondulée avec des trous allongés et des clous en clé de violon. Plus tard apparaissent les trous carrés, les clous en tronc de pyramide et à grain d’orge, les fers non ondulés, plus larges et plus lourds. La Chine, le Japon et les Indes ignorent la ferrure à clous jusqu’au XVIIIe siècle.

Le maréchal-ferrant est un artisan dont le métier est de ferrer les chevaux et les animaux de trait, bœufs, ânes, mulets, ce qui est plutôt rare de nos jours. Le maréchal n’est pas qu’un simple “poseur de fer”. Il est celui qui sait: déceler les aplombs du cheval qui se détériorent, arrêter l’évolution d’une fente dans la paroi du sabot, soigner les blessures aux pieds du cheval et poser, à l’occasion, des ferrures spéciales et correctives comme des talonnettes et des semelles. “Véritable orthopédiste du cheval, le maréchal-ferrant précéda le maréchalsoigneur, lui-même ancêtre du vétérinaire. Jusqu’à la création des premières écoles vétérinaires, en 1825, le maréchal était en effet le seul à exercer la médecine animale.” (1)

Il est très important pour le maréchal de bien connaître les chevaux, leurs besoins et leur caractère. «Tout cheval est à prendre garde». Au fait les chevaux comme les humains, ne sont pas tous bons. Il se trouve des chevaux malins, hargneux, nerveux ou encore rétifs. Le forgeron sait comment approcher la bête et la calmer, avec la douceur il finit par en faire ce qu’il veut. En de rares occasions il a recours à des moyens de soumission. La connaissance du sabot est de la première importance. Il se compose de: la fourchette, la lacune, la muraille et la sole. C’est en ferrant le cheval, que le maréchal-ferrant lui donne une position convenable, on peut dire que l’artisan chausse le cheval. Le ferrage ne s’effectue pas de la même façon s’il s’agit de chevaux de selle, de course, trot ou amble, de trait.

L’apprentissage du métier se faisait de père en fils. Celui-ci mettait à profit les secrets que son père lui transmettait. Il s’en trouve encore des fils qui suivent les traces de leur père. “Le métier de maréchal-ferrant – métier de tradition – est encore régi par les lois du compagnonnage: on commence comme apprenti, puis on passe compagnon, et enfin, pour certains, maître-maréchal.” (2) Un appel logé à un centre d’équitation de la région m’apprend que des cours de maréchalerie se donnent à La Pocatière.

Autrefois le maréchal-ferrant travaillait dans sa boutique du village et attendait les chevaux à ferrer. Sa boutique a son odeur et ses bruits. Elle renferme les outils de l’artisan: le feu de forge alimenté par du charbon et attisé par les soufflets, occupe une place importante; les enclumes servant à forger les fers; les tenailles à déferrer; les tenailles à couper la corne; la boîte à outils; la râpe à égaliser la corne; le trépied; le crochet; le couteau croche pour le travail de la corne; le marteau à ferrer; une mailloche; un crochet pour décrotter le sabot; un rogne-pied servant à couper la corne; des clous; des fers à cheval; plusieurs types de marteaux, et autres outils sans oublier l’indispensable tablier de cuir. On y retrouve aussi différents accessoires comme le chasse-mouches, les chaudières à avoine et à eau, ainsi qu’un tord-nez et un travail à ferrer pour la soumission.

Aujourd’hui la majorité des artisans se déplacent d’une écurie à l’autre, pour leur travail, en camionnette garnie de leurs outils. Ils se rendent ainsi chez leurs clients qui les convoquent. Pour chauffer les fers, l’artisan utilise, au lieu du charbon, des bouteilles d’acétylène qui sont beaucoup plus faciles à transporter.

La maréchalerie possède un vocabulaire désuet et imagé comme “la couverture” qui désigne la largeur du fer; la “tournure”, pour la forme du fer; la “garniture”, pour la partie du fer qui dépasse le pied; et encore, l’affilure, le grain-d’orge, le collet.

Le saint patron des maréchaux est Eloy. On raconte une légende, qui a plusieurs versions, au sujet du forgeron orgueilleux. En voici une: «Maréchal de grande renommée, Eloy avait inscrit au-dessus de sa porte la devise: “Maître sur tous”. Voulant lui donner une leçon de modestie, Jésus se présenta à lui sous les traits d’un apprenti. Mis au défi par Eloy de ferrer mieux que lui-même, Jésus coupe la patte du cheval et la serre dans l’étau pour la “garnir à son aise” avant de la replacer miraculeusement. Eloy, piqué, essaie de l’imiter et n’arrive qu’à mutiler le cheval. Comprenant alors qui est en face de lui, il s’agenouille et se repent de son orgueil.» Eloy fut canonisé et devint le saint patron des maréchaux. On le fête le 1er décembre.

Pour un cheval, avoir mal aux pieds c’est tout un drame. Le plus beau et le meilleur cheval est bien inutile si ses pieds ne peuvent supporter les efforts demandés. Un cheval à l’état naturel, se déplace sans ferrure. Alors pourquoi le ferre-t-on? C’est pour: protéger la corne de ses sabots, de l’usure; tailler le surplus de corne qui a poussé depuis le dernier ferrage, car les chairs, à l’intérieur du sabot, sont comprimées, petit à petit, par le fer qui enserre le pied; corriger les défauts d’aplomb du cheval et c’est surtout pour augmenter considérablement sa force motrice en lui permettant une meilleure adhérence au sol.

La corne du sabot, tout comme nos ongles, pousse d’environ un centimètre par mois. Elle est complètement insensible. Ferrer un cheval ne le fait pas souffrir bien que nous soyons impressionnés par la longueur des clous qui sont enfoncés dans le sabot. Les pointes des clous guidées par le “grain-d’orge’’, traversent la corne et ressortent du sabot.

La durée d’un ferrage est d’environ six semaines. L’usure des fers dépend de la fréquence des sorties du cheval et sur quel terrain il évolue. Le prix pour un ferrage complet est de 50,00$ environ.

Le fer à cheval est une lame de fer recourbée, percée de trous (étampures) pour loger les têtes de clous. Les fers antérieurs sont presque ronds et sans crampon, tandis que les postérieurs sont plus allongés et portent un “pinçon” qui se replie sur le sabot pour plus de solidité. Les fers sont faits avec de vieux fers, ou avec du fer neuf en barre. Le “fer du maréchal” est plus malléable que le fer ordinaire. On peut le tourner à chaud ou l’étamper, c’est-à-dire y percer des trous, il ne cassera pas.

Le choix de la ferrure se décide selon la circonstance plutôt que sur le hasard. Le maréchal-ferrant examine le pied du cheval avant de lui poser un fer. S’il lui trouve un défaut il essaye de le corriger en lui ajustant un fer qu’il forge selon le besoin. Il existe plusieurs types de ferrures: les fers saisonniers, d’hiver ou à glace, de pâturage, d’été; fers orthopédiques, barrés, biaisés, à un crampon, en arête; fers thérapeutiques pour cornes brisées, fer élargi et foncé de cuir; fers à bœuf.

Poser un fer à un cheval semble à première vue très facile mais il n’en est pas ainsi. Tout d’abord le maréchal-ferrant se tient debout devant le cheval, pour examiner la forme du sabot et vérifier l’équilibre du cheval. Pour bien ferrer les quatre pieds d’aplomb, il n’enlève qu’un fer à la fois. Il débute son travail du côté gauche, car le cheval est nourri de ce côté. Il le surveille constamment. Le maréchal, revêtu de son long tablier de cuir, s’approche lentement de la bête, sa boîte à outils à portée de la main. Il lui parle doucement et se penche sur la patte à ferrer. Il touche légèrement un nerf du cheval. Docilement la patte se lève, le maréchal-ferrant la saisit et la maintient entre ses cuisses. C’est la ferrure à l’anglaise. Quant à la méthode dite à la française, c’est son aide qui tient le pied et le maréchal procède au ferrage.

L’artisan dérive alors les clous et arrache le vieux fer. Déjà un fer neuf chauffe dans le charbon. Le maréchal nettoie le pied, c’est-à-dire qu’il procède à la taille de la corne avec les outils appropriés. Les copeaux de corne tombent et la corne neuve apparaît. Il ne faut pas aller trop loin, mais attention aux défauts. Le forgeron pose la patte au sol et l’examine à nouveau. Bien “paré”, le sabot est prêt pour le premier essayage du fer chauffé. Le maréchal le fixe à l’aide de 2 clous seulement. Le cheval se porte sur son pied – non il n’est pas brûlé. La corne noircit où le fer touche, ce qui permet la rectification du “parage” et de la forme du fer. Maintenant l’artisan enlève la portion de corne sur laquelle le fer est imprimé afin que le fer pose également partout. Le fer, rougi à nouveau est battu sur l’enclume, à grands coups de marteau pour lui donner sa “tournure”. Il fixe alors le fer, refroidi dans un seau d’eau, à l’aide de clous. L’implantation des clous demande une attention spéciale. Il doit prendre garde de blesser le pied et doit prévenir le fendillement de la corne. Les pointes des clous, qui ressortent du sabot, sont recourbées et ensuite coupées à ras. Enfin, il termine son travail par un coup de râpe sur les clous et sur la corne pour un beau fini. Le maréchal-ferrant fait marcher le cheval dans sa boutique, histoire de vérifier son travail. Le ferrage des quatre sabots demande environ une heure ou plus de travail, c’est selon la rapidité du forgeron. En une journée, il peut arriver à ferrer de 10 à 12 chevaux.

Le ferrage des chevaux n’était pas le seul travail du maréchal-ferrant, souvent il était forgeron, soigneur, maquignon. Il savait adapter son travail au rythme des saisons. Il forgeait des crochets, des chaînes, des cercles, des versoirs de charrues, des bandes d’acier pour les roues de chariots, des parties de chariots, des traîneaux, du fer ornemental, des réparations générales, et autres travaux.

Chaque maréchal-ferrant avait des recettes, des secrets bien à lui, qui servaient à traiter les animaux et souvent même les hommes. Ils étaient réputés guérir des ganglions, des convulsions, des brûlures.

La vie des ancêtres était reliée au cheval, que ce soit par le travail de ferme ou comme moyen de transport. Les comptines nous démontrent la place occupée par le ferrage, la forge et le maréchal-ferrant. En voici une, que mon père chantait:

Ferre maréchal

Les quatre pieds de mon cheval

Ferre-les bien

Ferre-les mal

C’est pour aller demain

À Montréal.

Le fer à cheval a aussi une autre importance: il est le symbole de la chance. Qui ne se rappelle pas avoir vu un fer à cheval au-dessus de la porte d’entrée de nos vieilles maisons?

La manière de ferrer des chevaux a peu évolué, même si quelques essais, tels que le collage et fers en plastique, ont été tentés. Cependant, le lieu de travail a changé. La très grande partie des maréchaux ne ferrent plus les chevaux dans leur boutique. Ils se rendent, sur rendez-vous, chez leurs clients en camionnette garnie de leurs outils. Leur nombre diminue. Ils s’en trouvent peu dans la région. L’attente du client est d’environ une semaine.

C’est un métier qui se perd, vu le remplacement des chevaux par l’arrivée de l’équipement mécanisé des fermes et des automobiles. Il reste malgré cela que le cheval participe aux loisirs des humains ce qui a pour effet de perpétuer cet ancien métier, celui de maréchal-ferrant.

Bibliographie:

(1) Dupont, Jean-Claude, L’artisan forgeron, Presses de l’Université Laval, coll. Formart 1979.

(2) Bataille, Laetitia, Des fers au feu, dans 30 millions d’amis/la vie des bêtes, no 42, déc. 1981.

Henry, Bernard, Des métiers et des hommes, Paris, éd. du Seuil, pp. 13 à 18.

Lux, Claude, Mettez-les aux fers, dans 30 millions d’amis/la vie des bêtes, no 10. décembre 1987.

Fer à cheval, dans Larousse du XXe siècle.

Hébert, André, Un maréchal-ferrant heureux tant qu’il aura des chevaux, dans La Presse, 13 septembre 1976.

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