Madame Denise Dodier-Jacques avait écrit dans L’Entraide généalogique une série d’articles connue sous le nom Les Vieux Métiers. Cette série a été publiée il y a une trentaine d’années, en 20 épisodes échelonnés entre 1990 et 1996. Peu d’entre nous se rappellent donc de cette série qui a marqué son époque. Pas moins de quatre de ces articles s’étaient mérités le prix Raymond-Lambert du meilleur article de l’année.
Nous avons retracé les 20 épisodes en question qui vous sont présentés graduellement au fil des prochains mois. Ce neuvième article intitulé »Le verrier » a été publié il y a près de 30 ans, soit à la fin de 1992. Il reflète donc l’état des choses à cette époque.

Madame Denise Dodier-Jacques (photo de la revue L’Entraide généalogique 1992 no. 15-4)
Temps de lecture estimé – 12 minutes
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LE VERRIER
Le verrier est celui qui fabrique le verre et des objets en verre. C’est un travail de patience et de créativité. Les premiers verriers modèlent le verre, puis ils apprennent à le souffler, le colorer, le polir, le décorer, le tailler, le graver.
En France, il fut un temps où les verriers possédaient des privilèges comme le droit de prendre dans les bois du prince le bois nécessaire à leurs fourneaux et les fougères pour la soude.

Image tirée de la revue L’Entraide généalogique 1992 no. 15-4
Mais qu’est-ce qui nous amène à parler du métier de verrier? Eh bien! Ce sont quelques items fabriqués par des vitriers et rencontrés dans des inventaires du 18e siècle. En effet dans celui de Pierre Dodier, daté du 8 février 1744, par le notaire Rageot nous trouvons ‘’un petit miroir de toilette prisé estimé vingt sols’’. Un deuxième inventaire, celui du défunt Louis Dodier époux de ‘’La Corriveau’’, dressé par le notaire N.L. Levesque nous décrit un item intéressant ‘’une maison … à laquelle sont trois ouvertures garnies de vitres et chassis’’.
Les objets faits de verre, au temps de nos ancêtres se font rares et coûteux. Seules les personnes aisées peuvent s’en procurer. Aujourd’hui, le verre est partout. C’est un des matériaux les plus répandus. Il est devenu indispensable.
La technologie du verre est très ancienne. Elle semble revenir aux Égyptiens qui eux savaient fabriquer du verre, près de 3 000 ans avant Jésus-Christ.
Une légende attribue au hasard la découverte du verre: ‘’Des marchands phéniciens, abordant sur le littoral, se seraient servis, pour soutenir la marmite où cuisait leur repas, de blocs de nitre qui, sous l’action du feu, auraient produit, mélangés au sable de la grève, le premier verre’’. (1) Les Vénitiens, les Phéniciens, les Romains furent des verriers remarquables. On retrouva une grande plaque de verre dans les ruines de Pompéi.
Au début de notre ère, les verriers sont très occupés. Les bateaux transportent les divers objets, fabriqués en verre, dans les plus lointains pays. La verrerie devient une industrie florissante. En 1827, D. Jarves construit une verrerie au Massachusetts. Il moule le verre en fusion dans la moitié d’un moule. Cet appareil ne sert qu’à fabriquer de la vaisselle ou des verres. Au début de notre siècle, un appareil à souffler le verre fut inventé. Il fut l’innovation la plus importante depuis la découverte du procédé du soufflage du verre, il y a des milliers d’années.
Le verre est une substance transparente, amorphe, insoluble, dure et cassante. Il est mauvais conducteur de la chaleur et de l’électricité. Les matières premières employées à la fabrication du verre sont essentiellement de la silice, sous forme de sable quartzeux, et des bases comme la soude et la chaux. Pour colorer le verre, le verrier emploie des oxydes métalliques; cuivre, fer, nickel, cobalt. Il fait fondre ensemble les matières à une température élevée. La silice fond à environ 1 400oC, cependant d’autres genres de verre nécessitent une chaleur plus élevée; le four doit avoir une chaleur constante. Pour obtenir cette chaleur, les verriers utilisent du bois, plus tard ce sera le charbon, le gaz, le mazout. Le récipient utilisé pour la fusion du verre doit être fabriqué avec de l’argile réfractaire, qui ne fond, ni fendille.
Jadis, on ne connaissait qu’une seule sorte de verre. Aujourd‘hui, il en existe plusieurs variétés principales: le verre à vitre, le verre à bouteilles, le cristal, les verres d’optique flint et crown, le pyrex. Pour cet article, nous nous en tiendrons au verre à vitre et au miroir.
Anciennement, ‘’on couvrait les fenêtres, qui n’étaient en fait que des trous dans un mur, de peaux ou d‘étoffes afin de se protéger de la pluie, du vent et du froid’’. (2) L’arrivée de la vitre permet aux gens de se protéger tout en leur permettant de recevoir la lumière extérieure.
Plusieurs siècles ont passé entre la découverte du verre et la fabrication du verre plat. Le verre fondu peut être traité à la main ou mécaniquement. Pour la méthode manuelle, appelée méthode du cylindre, l’artisan plonge sa canne de verrier dans le verre en fusion (la paraison) et en retire une quantité pour la malaxer sur une table et ensuite la mettre au four pour la ramollir. Le souffleur souffle dans sa canne tout en lui donnant un mouvement de pendule. Après plusieurs soufflages et réchauffages, il obtient un manchon cylindrique qu’il coupe à l’extrémité et fend dans sa longueur. Ensuite, il passe le cylindre de verre au four à étendre, où, sous l’action de la chaleur, s’ouvre et s’étale formant ainsi une plaque de verre. L’artisan refroidit lentement le verre et le recuit. Le verre produit est ondulé et inégal. Il déforme tout ce qu’on peut voir à travers le verre. La fabrication terminée, le verrier en découpe des morceaux.
Au 17e siècle, un français invente le verre plat, méthode plus facile et moins longue. Le verrier verse le verre en fusion sur une table et l’écrase avec de gros rouleaux. La feuille de verre claire et mince est plus grande et lisse. On utilise ce verre pour fabriquer des miroirs, des portes et fenêtres.
Quant à la fabrication mécanique, plusieurs procédés sont utilisés. Une machine à fabriquer des feuilles de verre au début du 20e siècle fut mise au point. Le verre en fusion sort d‘un réservoir, puis glisse entre des rouleaux qui en assurent l’épaisseur uniforme et la largeur. Il ne reste qu’à le découper. D’autres machines sont inventées, dont une qui fabrique un ruban de verre sans fin, de 4 pieds de largeur. Le ruban va du fourneau au recuit, de là à la salle d’expédition pour être coupé en carrés. Aujourd‘hui, on peut fabriquer des feuilles de verres de seulement 3 millimètres d‘épaisseur et d’une largeur de plusieurs mètres.
La découverte du verre à miroir remonte aussi très loin dans le passé. De tous les temps, l’homme et la femme sont à la recherche de leur image. Il en va de même pour nos ancêtres qui ont voulu se voir, se regarder dans une glace. Ils possèdent donc leur petit miroir de toilette.
Les premiers miroirs de verre sont fabriqués par les vitriers Vénitiens vers 1300. Auparavant, on se servait de plaques d’argent poli, de bronze ou de d‘autres métaux, et encore bien avant on n’avait pour tout miroir que l’eau claire et calme d’un étang. Tout d’abord, le verre sert à protéger les plaques d’argent poli; on lui superpose ensuite une feuille d‘étain, sur laquelle on applique une couche de mercure. L’amalgame (mercure-étain) était de plus protégé par une couche de peinture et de vernis.
Quant à la méthode moderne, elle consiste à appliquer sur le verre une couche de nitrate d’argent à laquelle on ajoute de l’ammoniaque avec une solution d’acide tartrique. On termine aussi par une couche de peinture et de vernis.
L’artisan-verrier travaille dans son atelier selon les principes de base utilisés il y a des milliers d’années. ‘’Voici une vieille recette de fabrication du verre: prendre quelques poignées de sable blanc et fin; mêler avec un peu d‘oxyde de calcium (chaux) et de carbonate de sodium (soude). Faire chauffer le mélange jusqu’à ce qu’il fonde’’. (3)* Il s’agira par la suite de prendre une quantité de cette pâte de verre et pendant qu’elle est chaude et malléable, la façonner selon la forme désirée. On laissera le verre refroidir et durcir.
L’artisan-verrier utilise les mêmes méthodes de fabrication que ses ancêtres. Pour exercer son art, il se sert de divers outils qui n’ont pas évolués: la canne du verrier, le pointil, la pince de bois, un petit fourneau, un marbre (établi), un bloc de bois échancré, des ciseaux spéciaux, une pointe de diamant, des morailles, une pucelle, des compas d’acier et à calibrer, une palette de bois, la chaise du verrier.
Les techniques de la verrerie se sont transmises au cours des siècles. Il fut un temps où Venise gardait les secrets de la fabrication du verre, mais elle ne put empêcher les secrets de tomber entre des mains étrangères. Des cours en techniques du verre se donnent dans la région, il semble ne pas y en avoir sur le soufflage du verre.
Le verre constitue un bon emballage et résiste à l’altération, ce qui le tient responsable de son accumulation dans les sites d‘enfouissement. Son recyclage permet de fabriquer du verre à partir de calcin (verre broyé) ce qui donne la possibilité d’une économie de 30% en matières premières et en énergie. Le verre peut être réutilisé indéfiniment.
Les méthodes de travail de I’artisan-verrier ont peu évolué. Comme dans tous les domaines, l’industrie a remplacé presque complètement la façon manuelle de traiter le verre. Quelques artisans-verriers travaillent encore le verre à la main produisant des œuvres d’un grand niveau artistique, comme les verriers de Murano.
Les œuvres des artisans-verriers sont toujours recherchés par les connaisseurs.
Références :
(1) Guide pratique Décoration et Stvles, Espagne 1975, pp. 308-325.
(2) Lafortune-Jasmin, France, Le verre, Grolier, Collection à la Découverte, tome 5, Belgique, 1973.
(3) Idem
Autres sources consultées:
Encyclopédie Grolier, tome X, la Société Grolier ltée, Montréal, 1954, pp. 446-450.
Encyclopédie Grolier, tome VII, la Société Grolier Itée, Montréal, 1954, pp. 248-249.
Thisdale, Pierre, ‘’L’origine du verre’’, dans La Tribune, 10 août 1991.
‘’Comment récupère-t-on le verre?’’», dans La Tribune, 17 juillet 1992.
Milot, Richard, ‘’La maison nord-américaine’’, dans Patrimoine-Estrie, vol. 5, no 2, 1992.
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