Madame Denise Dodier-Jacques avait écrit dans L’Entraide généalogique une série d’articles connue sous le nom Les Vieux Métiers. Cette série a été publiée il y a une trentaine d’années, en 20 épisodes échelonnés entre 1990 et 1996. Peu d’entre nous se rappellent donc de cette série qui a marqué son époque. Pas moins de quatre de ces articles s’étaient mérités le prix Raymond-Lambert du meilleur article de l’année.
Nous avons retracé les 20 épisodes en question qui vous sont présentés graduellement au fil des prochains mois. Ce onzième article intitulé Le joaillier a été publié il y a plus de 30 ans, soit à la fin de 1994. Il reflète donc l’état des choses à cette époque.

Madame Denise Dodier-Jacques (photo de la revue L’Entraide généalogique 1996 no. 19-1)
Temps de lecture estimé – 13 minutes
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LE JOAILLIER
Il n’est pas facile, à première vue, d’associer les ancêtres québécois du début de la colonie au métier de joaillier parce que certains de nos ancêtres ne possédaient que peu de biens, comme nous le démontrent leurs inventaires, mais il n’en est pas ainsi pour tous.
Les bijoux ont depuis tous les temps fascinés l‘homme, que ce soit pour rehausser son habillement, pour un désir de luxe ou pour afficher sa fortune.
Ces ancêtres, tout comme nous, aiment se donner une belle apparence; la possession de bijoux paraît avoir une grande importance pour eux. À la lecture du contrat de mariage, passé le 14 juillet 1761, devant le notaire Saillant, entre Louis Héleine Dodier et Marie Josephte Corriveau, nous trouvons deux mentions au sujet de bijoux. En voici une: »au choix du survivant avec ses habits linges bagues joyaux à l’usage du survivant ». D’où proviennent ces bijoux: d’Europe ou fabriqués au pays ? Aucun détail.
Les bijoux sont en fait des objets avant tout destinés à la parure; bien qu’à l’origine, plusieurs ont des buts pratiques. Ils sont précieux tant par leur matière que pour leur travail. Leur usage est répandu partout dans le monde et date de la plus haute antiquité; les artisans-joailliers consacrent leurs art et habileté à la fabrication et ce, depuis toutes les époques et par toutes les races.
Ce que nous savons au sujet de l’art de la joaillerie nous vient »de trois sources: représentations d’articles de bijouterie sur des sculptures ou
des poteries gravées et peintes; spécimens, à la vérité rares, de pièces authentiques que l’on a pu déterrer; enfin et surtout, bijoux funéraires » (1). Les bijoux funéraires semblent avoir une signification symbolique.
Dès l’âge de pierre, les humains aiment se parer d’objets dans lesquels ils voient la beauté pure. Plus tard, les Egyptiens fabriquent des bijoux qui se distinguent par leur caractère emblématique: le scarabée, l’oeil d’Horus, l’homme à tête d’épervier, la fleur de lotus. Chez les grecs, plusieurs siècles avant J.-C., l’art représente souvent Éros, la Victoire, les oiseaux. La bijouterie romaine pour sa part, est simple, mais avec le luxe déployé sous l’Empire, les bijoux deviennent lourds et exagérés. Ce n’est que dans le travail de la pierre fine en camées (sculpture en relief) et les intailles (pierre gravée en creux) servant de sceaux ou de cachet, que les Romains ont un bon goût. L’Europe a aussi ses pièces caractéristiques. Le travail des artisans se fait dans des lignes architecturales plutôt lourdes avec des animaux aux formes grossières, des motifs floraux ou géométriques.
Au cours des siècles, plusieurs changements se font dans la bijouterie. L’abus des pierres précieuses amène des innovations dans cet art. C‘est avec Louis XIV que commence cette transition qui persiste jusqu’au 19e siècle. La bijouterie devient une simple accumulation de pierres. A côté de ces travaux, nous voyons s’accumuler de lourds objets d’or et d‘argent, sans valeur artistique tant en ce qui concerne le dessin que les ciselures et les gravures.
L’artisan-joaillier « habille » les pierres précieuses et les perles pour les transformer en bijoux. Ses créations demandent un goût raffiné autant pour les soins apportés dans leur dessin, le choix de la matière que pour l’exécution du travail. Le joaillier produit des pièces remarquables. Beaucoup de bijoux sont encore fabriqués par des artisans, dans leur propre atelier, soit en suivant les dessins fournis par le marchand ou bien selon leur propre inspiration. Il travaille souvent en solitaire dans un endroit plus ou moins propre et aéré, et en présence de bruits. Il a des risques de brûlures, de coupures et de blessures aux yeux à cause de la manipulation de feu, d’acides et d’instruments coupants, sans oublier le projection des particules métalliques. Il aime particulièrement les tâches manuelles, la création artistique et la concrétisation de son travail. Certaines qualités: précision, originalité, minutie, imagination, innovation, font de lui un artisan recherché.
L’or, l’argent et la platine sont les principaux métaux utilisés pour la fabrication de bijoux. Le joaillier peut les incruster ou les sertir de pierres précieuses. Il se sert aussi de quartz, de granit, de la calcédoine, du jais (avec lequel on faisait des bijoux de deuil) pour orner ses objets. Les bijoux peuvent être ciselés, gravés, travaillés en bosse, décorés de filigranes, ajourés et même sculptés dans l’ivoire, dans le nacre, dans la lave.
L’artisan-joaillier exécute et crée une variété d’objets pratiques et des objets de parure. Parmi les objets utilitaires, nous trouvons des peignes en or et argent, des épingles à cheveux, des bélières (anneaux), des reliquaires, des tabatières, des boîtes à poudre et à onguent, des fibules (agrafes pour retenir les extrémités d’un vêtement), des drageoirs, des bonbonnières, des bagues à cachet, des boucles de souliers, des broches
à chapeaux, etc. Quant aux bijoux servant à la parure, il y a des colliers, des bracelets, des bagues, des boucles d’oreilles, des chaînettes, des breloques, des boîtiers de montres, des magnifiques diadèmes, des bandeaux pour le front, des faces-à-main (binocle à manche), des parures de cheveux, etc.
La fabrication de bijoux demande plusieurs opérations. L’artisan doit recuire le métal avant le laminage pour le rendre plus malléable. En effet, il chauffe, à la température voulue, des petites parties de métal très limitées. Il martèle lentement le métal suivant le modèle de la pièce désirée. Par la suite, il découpe la plaque de métal selon les dimensions voulues et fait des entailles si nécessaires, puis il procède à l’assemblage des pièces par la soudure ou le rivetage. Ensuite, il peut graver ou ciseler son objet. Maintenant, il polit et monte les pierres dans les collerettes, les griffes ou les fils de métal ou encore les incruste. Il pèse sa pièce, nouvellement fabriquée, car c’est le poids du métal qui fixe, en partie, le prix de ses oeuvres. Le client prend alors possession de l’objet commandé, si ce n’est le cas l’artisan le met en vente. Ses oeuvres ont un mérite artistique aussi bien en ce qui concerne son dessin que son travail.
L’artisan-joaillier se sert de plusieurs instruments pour effectuer son travail. Ce sont des instruments: à tracer et à mesurer le métal, à le découper, à le former, à finir, etc. Parmi ces instruments, nous trouvons une perruque (masse de fer servant pour la soudure), un chalumeau, un tour, un étau, une lime-barette, un forêt d‘acier, un trébuchet (balance), un tablier de peau servant à récupérer la limaille, scies, marteaux, pinces, enclumes et autres.
L’ère industrielle touche aussi la joaillerie. C’est en industrie que se produit la plus grande quantité de bijoux. Des usines spécialisées produisent des éléments servant à la fabrication des bijoux: fils d‘or, d’argent, de platine de différents diamètres, des barres et tubes de métal massif ou laminé, des flans (disques de métal) servant à la frappe de bijoux, des parties de bijouterie fondues. Les fabriques de bijoux et les artisans-joailliers peuvent se procurer ces éléments qu’ils travaillent et assemblent à l’aide d’outils pour former leurs objets. Maintenant, on fabrique par procédés mécaniques des quantités de bijoux en métal tels que les chaînettes, les bracelets. Le taillage des pierres constitue une branche à part dans l’industrie du bijou. Elles sont taillées, polies et fournies aux fabriquants et artisans en joaillerie.
L’art de la joaillerie s’est transmis à travers les siècles. Les techniques de travail ont évolué. Il se donne des cours au niveau collégial (DEC) ayant un programme d’attestation d’études (AEC).
Revenons à nos futurs mariés, nous ne connaissons pas la provenance de leurs «bagues et joyaux* mais une chose est certaine, ils ne les ont pas porté longtemps. Après un an et demi de vie commune, le mari est assassiné par sa femme et celle-ci est pendue quelques mois plus tard. L’inventaire de leurs biens mentionne « un colliée avec les chevilles et brasselets … une paire de boules à diamants … deux boucles à cheveux, une casette ».
L’évocation du métier de joaillier, à lui seul, suffit à nous faire rêver de bijoux faits de métal précieux, garnis de diamants, délicatement travaillés. Il y aura toujours des gens, recherchant un bijou artistiquement conçu, qui recourront aux services d’un artisan-joaillier.
C’est un métier qui ne peut mourir!
Bibliographie
(1) Encyclopédie Grolier, tome II, La Société Grolier du Canada
ltée, 1954, pp. 214-216.
Autres sources
- Métiers d’art et de traditions, Larousse, Imprimerie Maury, France, 1986, pp.212-213.
- Document fourni par la Société québécoise de développement de la main-d’oeuvre de l’Estrie.
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