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Les vieux métiers – L’encanteur

Madame Denise Dodier-Jacques avait écrit dans L’Entraide généalogique une série d’articles connue sous le nom  »Les Vieux Métiers ». Cette série a été publiée il y a une trentaine d’années, en 20 épisodes échelonnés entre 1990 et 1996. Peu d’entre nous se rappellent donc de cette série qui a marqué son époque. Pas moins de quatre de ces articles s’étaient mérités le prix Raymond-Lambert du meilleur article de l’année.

Nous avons retracé les 20 épisodes en question qui vous sont présentés graduellement au fil des mois. Ce treizième article intitulé  »L’encanteur » a été publié il y a plus de 30 ans, soit au début de 1994. Il reflète donc l’état des choses à cette époque.

Temps de lecture estimé – 15 minutes

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L’ENCANTEUR

Avant de parier de l’encanteur, il faut connaître la définition du m0t encanteur. Si l’on s’en rapporte au Dictionnaire de la langue québécoise, c’est “le préposé à la vente à l’encan, le commissaire-priseur”. Quant à la définition du mot “encanter”, le Glossaire du Parler Français au Canada nous apprend que c’est: “vendre à l’encan, mettre à l’encan, vendre aux enchères”. L’encanteur ou commissaire-priseur procède donc à l’estimation et à la vente aux enchères d’effets mobiliers. Et voici, tiré du dictionnaire des synonymes, la définition des mots encan et criée.

Encan: (du latin in quantum, à combien) ne s’applique guère qu’à une vente aux enchères publiques d’effets mobiliers, tandis que le mot criée s’emploie pour une vente aux enchères publiques de denrées.

Le premier encan auquel j’ai participé remonte à plus de trente ans. Ce jour-là fut toute une expérience, j’entrais dans un monde inconnu. Il y régnait une atmosphère de fête populaire où les vendeurs ne présentaient aucun air tragique. La vente était menée rondement par un encanteur reconnu, bilingue et au verbiage chantonnant. Il était impressionnant du haut de sa “chaire”, par sa physionomie et son oeil vigilant. Il trônait bien sur les amateurs. Cette vente à l’enchère m’a beaucoup fascinée.

Ces ventes ont toujours attiré des gens, pour conclure des affaires ou par simple curiosité. En était-il de même au premier temps de la colonie?

Parmi les documents que je possède sur la vie de mes ancêtres, il y a une vente aux enchères et un encan. Ces documents citent les noms des crieurs qui ont adjugé les biens vendus par enchères. Une vente faite le 20 septembre 1735, le fief de la Rivière du Gouffre, dépendant de la succession de feue Catherine Caron, épouse en première noces de Jacques Dodier et en secondes noces de feu Pierre Dupré, est crié par le sieur Pilotte et adjugé au plus offrant et dernier enchérisseur. André de Leigne signe ce document. Avant de procéder à la criée faite à la porte de l’Église paroissiale, l’huissier apposa une affiche où il inscrivit les dates des criées des biens saisis. Il dressa des procès-verbaux d’apposition de l’affiche et des criées.

Le deuxième document est un procès-verbal d’encan fait le 2 et 3 février 1763, des effets de feu Louis Dodier, deuxième mari de la Corriveau, “en la maison du dit deffunt Dodier avond procédé à la vente et encamp au plus offrant dernier encherisseur deniers comptant des biens mentionné en l’ynventaire de la communauté”, et “la criée d’yceux faite par Philippe Chartier à deffaut d’huissier”.

L’encanteur est celui qui vend à l’encan les effets mobiliers appartenant à un autre. Sa personnalité influence fortement une vente. Il est plus habile que les gens ordinaires à cette sorte de travail. Certains encanteurs savent manier le marteau à la perfection. En effet, ce marteau d’ivoire est le petit maillet dont l’encanteur se sert pour frapper un coup sur la table lorsqu’un objet mis aux enchères est adjugé. L‘art de l’encanteur “tient dans ce qu’il doit toujours repousser plus loin dans le temps le moment où le marteau doit s’abattre en maintenant, par cent jeux de paroles et de gestes, l’attention du public sur celui-ci pour le pousser dans ses plus ultimes enchères”.

Pour apprendre les rudiments de son métier, l’encanteur a la possibilité de suivre un cours qui se donne seulement aux États-Unis, depuis plusieurs années. Le gouvernement provincial émettait un permis aux encanteurs, maintenant aboli depuis 1984, sauf pour les ventes d‘animaux et d’autos. Pour les autres encans, il doit détenir un numéro pour recueillir les taxes de vente tout comme un marchand. Il travaille habituellement à base de commission. Quelques personnes s’improvisent encanteurs et connaissent le succès tandis que d’autres auraient grand avantage à suivre un cours.

L’origine des ventes publiques remonte au XVIIe siècle. C’est à l’époque où le goût pour la collection et pour les objets d’art s’est étendu dans la noblesse et la bourgeoisie européenne. Depuis les objets de spéculation, peintures et oeuvres d’art font perdre ou gagner de l’argent. C’est à ce moment que sont nées les ventes aux enchères, qui permettaient de reconvertir en monnaie sonnante les sommes investies.

Le principe des ventes aux enchères est simple; il consiste à grouper le plus d’amateurs dans un lieu où sont rassemblés les objets à vendre et pour lesquels chacun donne le prix qu’il est prêt à en donner. La vente aux enchères permet de vendre à la fois rapidement et à un prix élevé, deux conditions qui sont en principe incompatibles. Ce système très efficace, peut servir à liquider toutes sortes de marchandises dans plusieurs conditions.

Les petites ventes aux enchères sont variées bien qu’elles procèdent toutes du même principe. Chacune des ventes a son style, ses avantages, son rythme, dus aux circonstances, à la personnalité de l’encanteur et à la partie du public que sont les amateurs; chaque vente est différente.

Elles sont forcées ou non, tenues dans les villages, se déroulent au domicile du vendeur, en plein air parfois, dans une grange, dans l’encombrement des pièces de la maison, dans une tente. On peut compter sur la bonne humeur des voisins venus assister en curieux; dans cette atmosphère, beaucoup de choses sont vendues en lots. Il faut d’abord examiner le contenu des boîtes ou lots avant de miser, car il n’est pas rare de trouver un morceau de porcelaine, avec un outil et une serviette.

Les ventes prestigieuses dans des salles réputées ont un autre caractère. Les objets réunis ont une unité de prix, de style ou de nature. La spécialisation de la vente permet d’attirer plus d’amateurs et ainsi d’atteindre des prix plus haut. L’avantage principal de ces ventes est d’offrir une marchandise triée.

Que la vente aux enchères ait lieu dans une salle ou chez un particulier, le déroulement de la vente publique se fait de la même façon. Les objets destinés à la vente sont exposés pendant quelques heures, afin de pouvoir examiner les pièces et de se fixer un prix limite, puis l’encanteur procède à la vente, en commençant par les objets de moindre valeur. Les objets sont présentés un par un, à ce moment-là, il n’est plus possible de les examiner. Pour chacun des objets, l’encanteur donne une mise à prix qui correspond soit au prix au-dessous duquel le vendeur préfère racheter lui-même son objet, soit à un prix d’estimation fixé par l’encanteur et donné comme point de départ pour débuter les enchères. Bien entendu, s’il s’agit d’une vente forcée, tout doit être vendu, peu importe le prix. Dès la mise à prix les enchères montent, l’encanteur et son aide surveillent attentivement les amateurs qui peuvent donner les chiffres ou simplement d’un signe indiquer à l’encanteur qu’ils sont “preneurs”. L’encanteur augmente lui-même les enchères selon une progression régulière, c’est à ce moment-là qu’il peut influencer un peu le déroulement des enchères. Les amateurs sont libres, ils peuvent commencer à miser, cesser ou ne pas se conformer au rythme de la progression. L’adjudication se produit après un court silence, ce qui est la preuve de l’abandon des autres amateurs. Il ne reste à l’acquéreur qu’à régler son achat. La vente se termine par la dispersion de tous les objets.

Les objets vendus sont variés: outils, ustensiles de cuisine, meubles, des chevaux fringants ou la plus lamentable “picouille”, chapelets, bibelots, oeuvres d’art, automobiles, timbres, terres entières, maisons, hôtels, vêtements, béquilles, dentiers (inutile de dire que c’est pour l’or), photos, etc. Et voici, tiré du volume: “George Goggin dans les ventes aux enchères”, une vente tout à fait inusitée: – “Pour faire rire le monde, je demande: combien pour le tas de roches? Quelqu’un dit: 20$, puis d’autres ont renchéri jusqu’à 35$, avant d’adjuger.” Tout peut se vendre ou à peu près, il m’est arrivé de voir à quelques reprises, certains encanteurs refuser de vendre un crucifix ou un drapeau. Certaines ventes offrent des scènes très comiques.

Des bijoutiers ayant des objets non réclamés dans un temps limite peuvent les faire vendre par un encanteur; il en est de même pour les blanchisseurs, marchands de fourrures, hôteliers, aubergistes et les compagnies de transport. Il ne faut surtout pas oublier “l’encan de la police”.

Faire encan n’est pas tragique pour tous, mis à part les ventes forcées. Ça peut être même amusant lorsque l’encan nous sert à se débarrasser d’un tas de choses, plus ou moins utiles, accumulées depuis plusieurs années ou générations. Ces choses inutiles pour un, peuvent devenir indispensables pour l’autre.

Les ventes de faillite sont en principe celles où l’amateur peut faire les meilleures affaires, mais il ne faut pas généraliser, les prix sont en fonction du public: c’est le nombre d’amateurs qui permet ou non de faire de bonnes affaires.

La participation à une vente demande certaines qualités: rapidité et esprit de décision, psychologie et diplomatie pour jouer avec, plutôt que contre les habitués des ventes. Il faut savoir se donner un prix maximum pour l’objet désiré et s’y tenir. Il est nécessaire d’assister souvent aux enchères afin de comprendre les règles de ce jeu. Tout est possible dans une vente, de la bonne affaire à la plus mauvaise.

Les outils de travail de l’encanteur sont: un marteau, une tribune de vente, et s’il vend des animaux, il a son arène de vente; son outil principal: la parole. Il est accompagné d’un ou d’une secrétaire, de pointeurs et d’aides. De plus en plus d’encanteurs possèdent une salle ou une tente chauffée procurant ainsi le confort aux acheteurs. Ceux qui réussissent sont dynamiques et aussi meneurs de foule.

Revenons à mes ancêtres, lors de la criée en 1735; ils devaient se réjouir un peu car cette vente mettait un terme à une très longue succession. Quant à l’encan du 2 et 3 février 1763, il ne devait pas être amusant, vu qu’il se tenait 5 jours après l’assassinat de Louis Dodier. L’encan dura 2 jours, son déroulement suivait l’ordre de la prisée de l’inventaire dressé deux jours auparavant. Les prix de vente furent souvent pareils à l’estimation faite, ou variant, tantôt plus haut, tantôt plus bas. Les prix de l’estimation et de la vente, dans l’ensemble, étaient semblables, ce qui prouve que les estimateurs, “à deffaut d’huissiers’’, connaissaient bien la valeur des objets. Le procès-verbal nous apprend: qu’il fallait une requête avant de procéder à la vente; que la vente se faisait en présence d’un notaire, pour la tenue d’un procès-verbal et le recouvrement des deniers; que la criée se faisait par un huissier, en cas d’absence, par une personne “capable de le faire”; qu’ il y avait 2 témoins et que l’encan se tenait à la maison du défunt.

Si l’on compare l’encan de mon ancêtre avec les ventes d’aujourd’hui, le principe et le déroulement ne semblent pas être différents. Le crieur tient le même rôle.

Assister à une vente aux enchères, même si l’on ne peut acheter, est une expérience qui vaut la peine d’être tentée en tant que “voyeur”!

Bibliographie:

  • Le Guide pratique de la décoration et des styles, Espagne, 1975, pages 410 à 414.
  • L’encyclopédie des styles d’hier et d’aujourd’hui, 2 volumes, Tome 1, collection Marabout, Paris, pp. 12-13.
  • Encyclopédie Grolier, Tome IV, la Société Grolier Ltée, Montréal, 1954, p. 363.
  • Goggin, George. George Goggin dans les ventes aux enchères, Ed. George Goggin, 1938, 592 p.
  • Bergeron, Léandre. Dictionnaire de la langue Québécoise, Ed. V.L.B., p. 203.
  • Glossaire du parler français au Canada, 1968, pp. 315-316.
  • Perspectives, 8 novembre 1975, et 27 juillet 1968.

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