Nous vous présentons cette semaine un article très intéressant, en deux parties, portant sur les débuts de la photographie. Ce type de documents enrichit grandement de nos jours les recherches généalogiques concernant nos ancêtres. L’auteur est André Lafontaine et son article a été publié dans L’Entraide généalogique il y a plus de 20 ans, soit en 2001. Son angle d’approche se concentre dans la région de Coaticook, près des frontières américaines.
Voici la deuxième partie de l’article.
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Temps de lecture estimé – 12 minutes
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Les photographes itinérants
Contrairement à d’autres photographes, Kilburn ne semble pas avoir pris une seule photo en dehors de son studio. En 1901, à Saint-Malo, lors du baptême de Palmira, fille de Pacifique Breault, un photographe inconnu (que nous soupçonnons, d’après la texture du carton, être un nommé Lund, de Canaan, Vt.), prit une photo des 21 personnes réunies à l’intérieur de la résidence des Breaut (2). À cette époque, à cause des problèmes d’éclairage, la qualité des photos prises à l’intérieur d’une maison privée laissait à désirer.
Au cours de la belle saison des années 1906 et 1907, P.-D. Manseau, un photographe de Coaticook, eut la bonne idée de passer par les rangs des cantons d’Auckland, Barford, Clifton et Hereford. Sans doute sa venue dans un village en particulier était-elle annoncée d’avance par le crieur public, sur le perron de l’église, à la messe dominicale. Ces photos (4-3/4 x 6-3/8) sont toujours collées sur un carton de 9” x 11”. Au coin inférieur droit, on lit: «P.-D. Manseau, Coaticook, Québec». On peut déterminer l’année et même le mois du passage de Manseau par l’âge du p’tit dernier. Presque toujours, la mère tient dans ses bras un jeune bébé. Quant au père, généralement il tient par la bride un ou deux chevaux. Il en est aussi fier que s’il s’agissait d’une Mercedes. La valeur historique de ces photos saute aux yeux. On a là non seulement toute la famille sur son trente-six, mais une vue de la maison et quelques fois des bâtiments. Comme la plupart de ces résidences sont disparues, ces photos, si chaque famille les avaient conservées, permettraient de reconstituer l’aspect de certains rangs tels qu’ils se présentaient au commencement du XXe siècle.
Si vous possédez une des photos de Manseau, il se peut fort bien qu’on ait découpé le carton pour en réduire la grandeur, faisant ainsi disparaître le nom du photographe. Dans ce cas, le dessin encerclant la photo confirmera qu’il s’agit d’une photo prise par Manseau dans la période 1906-1907.
Deux photographes à Saint-Malo
Le jeune village de Saint-Malo sortait à peine de sa période de colonisation lorsqu’un certain A. Couturier installa son studio dans une maison située en face de l’église. Les habitants, qui étaient habitués à se rendre à Coaticook, ou à traverser la frontière pour se faire «tirer le portrait», n’en croyaient pas Ieurs yeux. Une de ses premières photos fut probablement celle du 23 septembre 1903, qui réunissait 70 personnes appelées à fêter le 50e anniversaire de mariage d’Azarie Paquette (frère du fondateur de Paquetteville) et de Marguerite Alarie. II y avait là, devant la demeure du forgeron Joseph Dumoulin, à East Hereford, quelques vieillards à grande barbe qui se trouvaient parmi les 70 invités. Ils étaient partis pour un monde meilleur, dix ans plus tard, lorsque ce même couple fêta son 60e anniversaire. Qui peut se vanter d’avoir en sa possession une photo de noces d’or (1903) et de diamant (1913), regroupant respectivement 70 et 92 personnes, dont la plupart sont identifiées? Malencontreusement, quelqu’un eut la mauvaise idée de décoller la photo du 50e de son carton originel, de sorte qu’elle s’était fort détériorée avant qu’on s’avise de la recoller sur le carton d’une simple boîte de corn starch !!!

Photographie prise par A. Couturier, 1898.
Qui était donc ce mystérieux A. Couturier? Par une photo datée de 1898 trouvée chez un antiquaire de Magog, nous savons qu’il avait son studio rue Main, à Berlin, N.H. La personne photographiée devait être un de ces nombreux Québécois qui travaillaient à la Brown Paper Company de l’endroit. On remarque au pied de cet illustre inconnu une belle peau d’ours blanche, étendue sur le prélart. Selon toute apparence, Couturier quitta Saint-Malo vers la fin de 1904. Son départ s’effectua tout aussi mystérieusement que son arrivée. Lui et sa famille étaient allés se perdre dans le grand melting pot américain. Ses photos, collées sur carton gris, sont toujours bien identifiées : «A. Couturier, Photo Artist». Il semble avoir enseigné son art à Alexandre Breault, car c’est lui qui le remplaça à Saint Malo. Comme il se doit, ce dernier avait hérité de la même peau d’ours, qu’il devait utiliser abondamment.
Jusqu’à l’an passé, nous désespérions de jamais pouvoir identifier ce Couturier. C’est alors qu’un parent de la Beauce nous fit voir quelques photos de la famille Lafontaine, prises à St-Évariste au commencement du XXe siècle par nul autre que l’énigmatique »A Couturier, Photo Artist ». Or, nous le savions, un certain Alfred Couturier avait épousé Malvina (de)Lafontaine, la soeur de notre grand-père; mariage célébré à St- Honoré (Beauce) le 22 août 1882. Il se disait alors cordonnier. Lors du recensement de 1901, on le retrouve sur une ferme, à Piopolis, avec sa femme et ses neuf enfants. II était donc revenu depuis peu de son périple à Berlin. Ne soyons pas surpris qu’un cordonnier se transforme en fermier et de là en photographe. Le cas qui prouve que nos ancêtres pouvaient être polyvalents.
Deuxième et dernier photographe à avoir pignon sur rue à Saint-Malo, Alexandre Breault avait plusieurs cordes à son arc. On le dit menuisier, barbier, joueur de violon et … photographe. II était doué pour cet art, car certaines de ses photos sont de petits chefs-d’oeuvre. Il pratiqua de 1906 à 1912 (dates approximatives). Une de ses nièces, Robertine Breault, se rappelle qu’étant jeune enfant, elle le visitait au Rhode Island, où il avait émigré. Il y avait chez lui plein de photos. Souvenirs qu’il avait emportés en quittant son village natal.

Rosa Adam (fille de Toussaint et Malvina Paquette), Breault Photo, St-Malo, c. 1909.
Breault utilisait un simple tampon à l’encre pour identifier ses photos: «A. Breault, Photo, St-MaIo». Avec les années, l’inscription disparaissait. La peau d’ours – généralement étendue sur le linoléum -, et le motif étoilé de ce dernier, permettent de déterminer si on a affaire à une photo prise dans le studio de Breault. On retrouve ces deux indices sur une photo publiée à la page 277 du volume Saint-Malo 1863-1988.
East Hereford eut aussi son propre photographe vers les années 1908-1909. Hormidas Chicoine n’était pas sans talents. C’est regrettable qu’il ait quitté la profession car nous lui connaissons quelques bonnes photos. Son répertoire semble fort limité. Ses photos sont collées sur un carton vert, où son nom est imprimé. Voilà un autre photographe qui disparut sans laisser de traces.
C’est Joseph E. Larivière qui remplaça Kilbum. Son studio était au coin des rues Child et Main, à Coaticook. Larivière n’hésitait pas à se déplacer. À l’automne 1911, il était à Paquetteville pour le mariage d’Emmanuel Beloin et de Rosa Adam. Ce jour-là, Larivière prit une demi-douzaine de photos, avec comme décor la splendide demeure d’Albert Champeau (propriétaire d’un moulin à scie, dont les petits-fils continuent l’opération), avec qui la mariée était apparentée. En 1926, Larivière est présent au mariage d’Émérilda Breault, à Barnston. Nous ignorons quand il abandonna sa profession.
Nous ne saurions terminer ce tour d’horizon sans faire mention d’Eddy Paquette qui, tout en travaillant à la manufacture de meubles de Beecher Falls, opérait un studio de photographie dans la même localité. En 1913, c’est lui qui prendra la photo du 60e anniversaire de mariage d’Azarie Paquette, dont nous avons parlé précédemment (3). II semble avoir été fort populaire et fut en affaire une vingtaine d’années. Nous l’avons dit, nos prédécesseurs étaient des gens fiers. Photos, albums (souvent recouverts de velours rouge), cadres avec vitre bombée étaient des façons d’exprimer cette fierté. Ils n’auraient pu imaginer que leurs descendants disposeraient cavalièrement de ces souvenirs en envoyant le tout à la poubelle, sinon au feu.
Les photos anciennes nous font voir des gens bien mis, heureux, aimant le beau, le solide. Toutes ces jeunes filles qui portent chapeaux fleuris, rubans, ombrelles, longues robes claires ou sombres, costumes d’écolières charrient dans leurs yeux une noblesse de l’être, une dignité, un port de reine qu’on ne soupçonnerait pas chez de simples paysannes.
Loin de renier la mode de »l’ancien temps », Alexina Bourque, née à Beauceville en 1891, ne craignait pas d’affirmer: »La mode de c’temps-là, qu’c’était beau! Chapeaux avec plumes d’autruche, avec un tour de cou en fourrure, des volants pis d’la dentelle aux robes. »
Profitons de la présence dans notre milieu de personnes âgées pour identifier ces vieux souvenirs. Rien n’est plus décevant qu’un album de photos dont personne ne connaît les noms. Quant à leur conservation, si le mal n’est pas déjà fait, espérons en leur pérennité…
Référence générale:
Bernard BELLEAU, “Secure the shadow & the substance fades” : Les photographes itinérants dans les Cantons de l’Est. c. 1843-1862», Revue d’études des Cantons de l‘Est, printemps 1993, no 2, p. 29-41
Notes:
- Louis D. DURAND, Paresseux, ignoranrs, arriérés, Édition du Bien Public, 1955. Le lecteur pourra aussi se référer aux deux ouvrages de Philippe AUBERT DE GASPÉ, Les Anciens Canadiens, 1864, 359 p.; Mémoires, 1866, 435 p.
- André LAFONTAINE, »Recherches sur la famille Breault », L’Entraide généalogique, vol. 18, p. 12-23
- André LAFONTAINE, »Une vieille photo “ressuscitée” », L’Entraide généalogique, Sherbrooke, vol 15, no 2, p. 47-49
- Marithé ROY, Visages du Québec, Montréal, 1980, p. 90
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