Voici un nouvel article sorti des archives de la revue L’Entraide généalogique à l’occasion du 45e anniversaire. Il est écrit par Paul Desfossés qui a dirigé la revue pendant plusieurs années. Encore récemment, il était également président de la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est.
Cet intéressant (et long) article raconte la carrière du frère Théode et les circonstances entourant la création de l’Université de Sherbrooke. Ne laissez pas sa longueur vous distraire en cette journée de congé ou encore… à lire à plus petites doses.
Temps de lecture estimé – 28 minutes
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Un distant cousin, le frère Théode et l’Université de Sherbrooke
par Paul Desfossés #3487
Je suis parmi les nombreux citoyens qui ont bénéficié de l’enseignement des Frères du Sacré-Cœur. Comme moi plusieurs d’entre eux ont pu poursuivre leur formation universitaire à la toute jeune université de Sherbrooke. Personnellement, j’ai par la suite consacré l’essentiel de ma vie professionnelle à l’éducation à Sherbrooke, à l’Éducation des adultes au Centre Saint-Michel. Ceci ajouté à ma passion pour l’histoire et la généalogie m’a amené à chercher les origines de l’éducation « supérieure » à Sherbrooke. J’ai appris que c’est à mon lieu de travail qu’avaient été créées des classes préuniversitaires et universitaires, classes qui par la suite ont été la base de départ dans la création de l’Université de Sherbrooke. J’ai aussi découvert le rôle important des frères Théode et Adelphe dans l’introduction, le développement de l’enseignement supérieur et la création éventuelle de cette université. C’est chemin faisant que j’ai découvert que l’un de ces deux grands pédagogues, le frère Adelphe, était en fait un de mes lointains cousins, le vrai nom de ce dernier étant Maurice Desfossés. Voici donc un court récit des œuvres de ces deux éminents frères du Sacré-Cœur dans leur cheminement vers la création de notre fière université
Le frère Adelphe, né Maurice Desfossés, est mon lointain cousin de cinquième degré. Je partage donc les mêmes arrière-arrière-arrière-arrière grands-parents; Joseph Desfossés et Madeleine Boudreau de Nicolet. Notre ancêtre commun, Jean Laspron dit de Lacharité, soldat du Régiment de Carignan est arrivé de Bourgogne à Trois-Rivières en Nouvelle-France en 1665 pour combattre les Iroquois qui menaçaient les habitants. Le 7 octobre 1669, à Québec, l’ancêtre prend pour épouse une « fille du Roy » Anne Michèle Renault. Un de ses petits-fils nommé Jean-Baptiste marié à Madeleine Geoffroy Saint-Germain est le premier à adopter le nom Desfossés. La presque totalité des Desfossés au Canada sont issus de ce mariage.

Maurice est né à Warwick d’une famille modeste en plein milieu de la première Guerre mondiale. Il entre au juvénat des Frères du Sacré-Cœur à Arthabaska en 1931. Amoureux de la lecture, il passe de longues heures à la bibliothèque. Il est admis au noviciat en 1932. On lui donne le nom d’Adelphe. Un an plus tard, il prononce ses premiers vœux à Arthabaska. En 1934, il décroche le diplôme complémentaire bilingue de l’École normale. Après avoir débuté sa carrière d’enseignement comme titulaire d’une classe du primaire à l’école Sacré-Cœur (du Centre) de Sherbrooke, il est nommé l’année suivante au juvénat d’Arthabaska.
En 1939, il s’engage définitivement dans l’Institut par les vœux perpétuels (chasteté, obéissance et pauvreté). En 1941, il est nommé professeur au scolasticat. Avec ses confrères, il contribue à donner aux scolastiques le goût pour les études en sciences et mathématiques. On lui confie l’organisation des laboratoires de sciences avec l’enseignement des sciences physiques, chimiques et biologiques à des groupes de langue française et de langue anglaise. Il démontre un talent spécial pour la vulgarisation des sciences. Sa réputation de professeur déborde le cadre du collège. La Chambre de commerce lui demande d’organiser quelques conférences sur des sujets scientifiques en vogue à cette époque. À travers toutes ces activités, il poursuit ses études et obtient son baccalauréat ès Arts en 1946.
Cette même année, le frère Théode (Maxime Lafond) ouvre une 13e année à l’école Sacré-Cœur de Sherbrooke afin de permettre aux grands élèves d’accéder aux études universitaires sans passer par le cours classique. Le frère Théode réclame l’aide du frère Adelphe pour prendre en charge le secteur des sciences. Les résultats prouvent qu’il a fait un bon choix.
Il prend des cours de sciences par correspondance de l’université McInley-Roosevelt et obtient son bac en 1947. Il décroche un diplôme en dessin industriel et un autre en ‘’Public Speaking’’ de l’Institut Dale Carnegie. Ardent lecteur, il se passionne en littérature française et anglaise. Il dévore des livres en biologie et en médecine.
Bras droit du frère Théode, le frère Adelphe l’appuie dans l’organisation des ‘’Prêts d’honneur’’ aux étudiants en difficulté financière. En 1950, il participe comme professeur de sciences et secrétaire à la fondation de l’École de génie dans la toute nouvelle École supérieure sur la rue King. À la formation officielle de l’Université de Sherbrooke, l’École de génie compte déjà trois années de cours de sciences appliquées avec plus de cent étudiants qui ont constitué le noyau le plus nombreux et le plus structuré de la jeune université.
De 1956 à 1958, en années sabbatiques, il fait une maîtrise en chimie à l’université St-Louis du Missouri. En 1958, il revient à l’École de génie et est chargé de cours de chimie à titre de professeur de chimie. L’année suivante, il devient secrétaire de l’École de génie et directeur du département de chimie.
Départ de l’université
Insatisfait de la façon qu’est dirigée la jeune université, il considère que le salaire est ridiculement bas. Le doyen des sciences travaillait bénévolement et le clergé qui avait la haute main sur l’université ne semblait pas apprécier le travail des frères enseignants. Il donna sa démission après avoir recruté le docteur Lalancette comme successeur à la direction du département de chimie.
Aventures au Zaïre
En 1960, libéré de l’université, il est nommé directeur de l’école Sacré-Cœur à Lac-Mégantic. En 1962, il reçoit une obédience : fonder une mission à Makungika dans le diocèse de Kitwit au Congo belge (Zaïre). Ironiquement, avant de laisser l’université, il avait dit à son doyen M. Lemieux qu’il préférerait travailler pour les nègres plutôt que pour un évêque. La situation d’instabilité politique au Congo belge ne modifie pas sa détermination de fonder cette mission. Il faut se rappeler que ce pays dans ces années connaissait la famine, la guerre civile et la désorganisation. À l’été 1962, après un travail ardu pour organiser et faire fonctionner le collège dans la brousse, ses confrères et lui sont attaqués par une troupe de rebelles. Après avoir reçu une flèche dans la jambe gauche, évité de près un coup de feu, il reçoit une seconde flèche à l’épaule. S’étant caché de ses attaquants, il est découvert par ceux-ci, il reçoit un coup à la tête et s’étend sur le sol, la face dans le sable. Il s’attend à être achevé là, alors il joue le mort. Il reçoit un violent coup à la tête. Il prend une solide respiration et garde son souffle le plus longtemps possible. Après ce long « respire », il vit les rebelles s’éloigner. Des soldats du gouvernement, passant par-là, le recueillirent et l’amenèrent à l’hôpital de Brazzaville, la capitale. La guérison de ses blessures fut longue et compliquée.(1)
Retour au Canada
De retour au Québec après quelques mois de repos, il retourne enseigner la chimie au Collège de Victoriaville et devient préfet des études collégiales. Le provincial le nomme nouveau directeur de l’École Sacré-Cœur de Lac-Mégantic, puis le ramène à Bromptonville comme maître des junévistes et directeur des études du juvénat senior. À la fondation du petit collège, il occupe la fonction de directeur des études du campus et en 1969, il fonde l’École secondaire de Bromptonville (ESB). Il s’intéresse aux langues allemande et espagnole et en 1973-74, il obtient une année sabbatique en Allemagne et en Espagne pour un stage d’immersion. De retour au pays, il est animateur des Aînés à la Maison provinciale de Bromptonville et professeur à l’École secondaire de Bromptonville jusqu’à sa maladie en 1981 qui l’oblige à modérer ses activités. En mars 1979, il reçoit de la part de l’Université de Sherbrooke une médaille d’argent pour sa participation à la faculté des Sciences. Ses anciens élèves ont toujours gardé pour lui une grande admiration et l’ont manifestée plusieurs fois au sein de l’Amicale ou des réunions des Amis des Frères. Ce frère bien-aimé décède à Bromptonville le 4 février 1992.(2)
Le frère Théode
Le frère Théode, né Maxime Lafond à Weedon en 1897, est aussi issu d’une famille de braves colons. Maxime est descendant de plus de cinq générations de cultivateurs. Plusieurs de ses arrière-grands-parents viennent de la région de Nicolet et de Baie-du-Febvre, mêmes localités où les ancêtres de son ami et confrère le frère Adelphe vécurent. L’ancêtre de Maxime, Étienne Lafond de la région de Poitou-Charentes en France est charpentier. Il épouse Dame Marie Boucher de Saint-Étienne (aujourd’hui en Loire) le 30 janvier 1645 à la cathédrale Notre-Dame à Québec. Son frère Pierre devient plus tard gouverneur de Trois-Rivières et ensuite seigneur de Boucherville. Le couple s’installe à Cap-dela-Madeleine en août 1665. Il fut parmi les premiers pionniers des Trois-Rivières.

À sa naissance en 1897, on n’avait préparé qu’un unique berceau alors que la nature avait prévu l’arrivée de jumeaux. Si petit, malingre et pas très joli, on se résigne à déposer Maxime dans une boîte à chaussures. Ce petit Maxime lutta si bien qu’il survécut à son jumeau qui occupait le si beau berceau. N’était-ce pas là le présage des luttes futures que continuerait à engager et à gagner cet être déjà prédestiné à vaincre dans l’humilité et l’abnégation ?
En juillet 1913, sept semaines avant d’avoir seize ans, Maxime Lafond prenait le train pour Athabaska. Au scolasticat, il obtient d’abord son premier brevet d’instituteur. Il poursuit ses études et décroche un diplôme d’enseignement secondaire, suivi d’un baccalauréat en pédagogie de l’institut St-Georges de Montréal et d’un baccalauréat ès sciences des mathématiques de l’université de Chicago. Il est tour à tour professeur à Coaticook, à l’École normale d’Athabaska, à Montmagny, à Jonquière, à l’Académie Saint-Jean-Baptiste de Sherbrooke, au collège de Victoriaville et il occupe le poste de directeur pendant six ans à Cap-de-la-Madeleine.
En 1944, le frère provincial cherchait un homme dynamique qui saurait donner un nouvel essor à l’éducation supérieure à Sherbrooke. Dans sa grande sagesse, il choisit le directeur de l’école Pierre-Boucher du Cap-de-la-Madeleine, un petit homme malingre et pas très joli qui se nommait Frère Théode et qui avait tellement secoué l’apathie des commissaires de l’endroit qu’il était devenu encombrant au point qu’on souhaitait son déplacement.
Une treizième année
Au cours des années 1944-45, le frère Théode s’enquit auprès des universités du Québec des déficiences des élèves de 12e année. Il propose également des suggestions pour remédier à la situation. À l’aide des réponses reçues, il élabore un programme de 13e année. La Commission scolaire de Sherbrooke, avec l’appui tacite de l’honorable Johnny Samuel Bourque, ancien élève des Frères du Sacré-Cœur, député de Sherbrooke et ministre des Terres et Forêts dans le cabinet de Maurice Duplessis, est enchantée de prêter sa collaboration à la mise à exécution de ce programme. Dès septembre 1945, un an après son arrivée à Sherbrooke, le frère Théode, assisté des frères Adelphe et Éloi, inaugure la 13e année dans un local d’occasion au sous-sol de l’école du Centre.

Tous les élèves de la fameuse 13e année réussissent leurs examens d’entrée à l’Université et suivent les cours avec succès. Les différentes facultés où ils s’inscrivent sont tellement satisfaites de leur bonne préparation que l’École de commerce de Québec, l’Université McGill de Montréal et l’École polytechnique de Montréal reconnaissent successivement le programme dispensé par la 13e année de Sherbrooke et acceptent sans examen les élèves recommandés par le professeur. Plus tard, les facultés des sciences des Universités de Montréal et de Québec en font autant.
Ses efforts donnent des résultats. Après dix ans, 300 jeunes Sherbrookois auront ainsi eu accès à l’université. Toutefois, il ne suffit pas que nos jeunes aient accès à l’université, les parents de ceux-ci ne peuvent pas nécessairement financer la suite de leurs ambitions. Dans un premier temps, le frère Théode compile des statistiques pour démontrer l’écart inadmissible entre les résultats professionnels de nos compatriotes de langue anglaise et ceux des Canadiens-Français dans le domaine des sciences et des affaires en particulier. Les élèves issus du classique étaient les seuls à avoir accès à l’université. À cet effet, avec l’aide d’anciens étudiants des écoles des Frères du Sacré-Cœur et quelques confrères, en février 1948, il fonde « l’Aide aux étudiants », un organisme dédié à recueillir des fonds auprès de la population sherbrookoise pour ensuite les offrir sous forme de prêts d’honneur aux étudiants issus de l’École supérieure désireux de poursuivre leurs études universitaires à Montréal ou à Québec.(3)
La période entre 1950 et 1954 est un franc succès et c’est même un triomphe pour l’École supérieure et pour son dynamique promoteur. Rappelons quelques événements qui se sont déroulés pendant cette période.
D’abord, les élèves de la 13e année jouissaient d’un tel crédit auprès des facultés de sciences et de celles des hautes études commerciales que tour à tour, les doyens de chacune d’elles et leur suite vinrent rendre visite à cette fameuse 13e année et à son dévoué directeur. Leur but évident était d’attirer le plus d’élèves possible à leur faculté.
En septembre 1951, la première année de génie est organisée, conformément au programme de l’École polytechnique de Montréal. Dès le début, elle compte 16 étudiants. En vertu d’une entente avec Montréal, ces étudiants subissent les mêmes examens que ceux de Polytechnique. Les professeurs de cette classe universitaire sont les révérends frères Théode et Adelphe.
Les trois premières années, les gradués de cette classe continuent leur cours à l’Université Laval de Québec mais surtout à l’École polytechnique de Montréal. On peut dire que ce fut le germe d’où naîtra l’Université de Sherbrooke.
En 1953-54, l’École supérieure de Sherbrooke nouvellement construite sur la rue King (aujourd’hui Centre Saint-Michel) dispensait l’enseignement aux élèves de 10e , 11e , 12e et 13e années, et maintenant depuis trois ans, à une classe de niveau universitaire dénommée première année de génie. Cette année-là, les autorités de l’École supérieure répondant aux désirs de personnalités influentes organisèrent une deuxième année de génie. Le frère Théode avait même engagé au nom de la Commission scolaire, un de ses anciens élèves, diplômé de l’École polytechnique, un dénommé Michel Normandin.
Création de l’Université de Sherbrooke
Dès le début de janvier 1954, tout devait être prêt et la nouvelle classe devait ouvrir ses portes en septembre 1954. Mais entre-temps une bombe éclata : la création officielle de l’Université de Sherbrooke.
Au début de 1953, un groupe chapeauté par monseigneur Cabana, en coopération avec le Séminaire, forme un comité secret en vue de proposer au gouvernement la fondation d’une université à Sherbrooke. Le 20 mai 1954, ayant fait les démarches nécessaires auprès des autorités compétentes du gouvernement du Québec et du Vatican, ce groupe secret a réussi à faire modifier la charte du Séminaire Saint-Charles-Borromée en Université de Sherbrooke. Ce geste majeur, conscient et calculé, s’est fait sans consultation ni avis des principaux initiateurs et des personnes impliquées dans la préparation des étudiants qui se dirigeaient vers les universités. Ces oubliés, ce sont les Frères du Sacré-Cœur de l’École supérieure de Sherbrooke dont les principaux acteurs sont les frères Théode et Adelphe. La communauté des Frères du Sacré-Cœur apprend la nouvelle en même temps que le public. C’est un fait accompli, le clergé par l’intermédiaire du Séminaire « fonde » l’Université de Sherbrooke. Les frères sont sidérés, voire même insultés, de ce manque de consultation. Pour éviter des évènements embarrassants, le frère Théode est sommé de se présenter à l’évêché. On lui ordonne de ne pas faire de déclaration publique. L’humble frère n’a pas le choix, il doit plier l’échine vu qu’il est tenu par son vœu d’obéissance. Le Séminaire qui ne tarde pas de se vanter de son bon coup, érige une grosse enseigne en face de son institution. En grosses lettres, on peut lire « Université de Sherbrooke ».
Les élèves de l’École supérieure tout en étant contents de la création d’une nouvelle université sont aussi outrés par le manque de considération des « fondateurs» pour l’impressionnante œuvre des frères depuis 1943. Ces fiers étudiants n’étant point liés par des vœux de religion, de leur propre initiative, partent en parade de leur école pour se rendre au Séminaire où ils arrachent l’enseigne de ses assises et à la vue des policiers intrigués emmènent l’enseigne pacifiquement à travers le centre-ville. Ce cortège se rend au pont traversant la rivière Magog et démontre sa frustration en projetant l’enseigne dans la rivière.
La nouvelle université, administrée par une équipe principalement composée de membres du clergé, crée l’École de génie à partir des cours de génie déjà offerts à l’École supérieure. Cette école louera ses locaux de la Commission scolaire en attendant la construction d’une Faculté des sciences. Plus de cinquante pour cent des cours offerts à cette nouvelle institution étaient offerts par les Frères aux locaux de l’École supérieure.(5) On y ajoutera la deuxième année de génie déjà prévue depuis l’année précédente. La nouvelle administration choisit d’exclure le frère Théode de tout poste d’influence si ce n’est de celui de consultant dans l’organisation de la nouvelle université. Pour les prochains dix ans, les Frères du Sacré-Cœur continueront d’en être des artisans importants même après l’inauguration de la Faculté des sciences sur le nouveau campus en bordure de la ville. Tour à tour, graduellement, les Frères retourneront dans leur communauté, faute de considération à leur égard.
Au total, on peut dire que le frère Théode a été évincé de l’organisation juridique de l’Université de Sherbrooke, qu’on l’a traité d’une façon quelque peu cavalière pour ne pas dire injuste; mais on doit aussi reconnaître que sans la situation particulière qu’il avait créée à Sherbrooke, il est certain qu’on n’aurait pas obtenu aussi facilement une charte civile pour l’université. En somme, il avait créé à Sherbrooke une situation qui mettait certains hommes politiques dans l’embarras et qui froissait certaines susceptibilités cléricales. La 13e année et la première année de génie étaient illégales puisqu’elles n’étaient pas prévues dans le code scolaire de la province de Québec. L’hon. J.-S. Bourque rapporta un jour au Frère Théode que le premier ministre (Maurice Duplessis) lui avait demandé de faire disparaitre la 13e année de Sherbrooke. M. Bourque aurait répondu que s’il faisait disparaître la 13e année, il perdrait son comté aux prochaines élections. Il n’en fit rien. Puisque la 13e année était tellement populaire qu’il était dangereux de l’abattre sans entraîner des répercussions politiques, il fallait donc lui trouver une existence juridique avant que toutes les écoles supérieures de la province s’avisent d’imiter Sherbrooke. L’érection de l’Université de Sherbrooke était la solution qui satisfaisait à la fois les hommes politiques et les milieux cléricaux.
Le frère Théode éprouva beaucoup de chagrin de voir sa communauté complètement éloignée de l’œuvre qu’elle avait si vaillamment préparée. Ce chagrin ne fut pas étranger à sa mort survenue, à Bromptonville, à 64 ans, en 1961. (6)
25 années de l’Université de Sherbrooke
Le 29 janvier 1958, au moment de commémorer l’anniversaire de son élection comme archevêque de Sherbrooke, monseigneur Cabana déclara qu’en ce qui regardait les Frères : « Je veux ici faire mention du grand nombre de Frères du Sacré-Cœur qui se sont dévoués à l’Université ». Un peu plus loin, il continuait : « Nous ne pouvons récompenser tous les Frères du Sacré-Cœur qui ont été à l’œuvre de l’université. Il y en a que le bon Dieu a rappelé à lui. Nous avons cru bon décerner cette décoration aux deux provinciaux qui ont des religieux dans notre diocèse. L’honneur qui échoit au chef d’une communauté s’adresse aussi à chacun des membres. Si on avait voulu être objectif, ces deux décorations seraient allées aux Frères Théode et Adelphe ».
Reconnaissances du frère Théode
De son vivant, Frère Théode ne reçut de reconnaissance que de la part des anciens de l’Académie et de quelques fidèles admirateurs dont je ne citerai que monsieur Fernand Drapeau, à l’époque secrétaire du député Johny Bourque, et monsieur Marcel Bureau, aujourd’hui toujours directeur général de la Société Saint-Jean-Baptiste. En 1957, le frère Théode est nommé membre honoraire à vie de la Société Saint-Jean-Baptiste.
Ce n’est que d’une façon post mortem qu’il fut honoré. Voici une liste sûrement incomplète de ces honneurs :
• Au cours des festivités du 25e anniversaire de l’Université de Sherbrooke, on le reconnaît comme étant le véritable précurseur. Le 22 septembre 1979, toujours dans le cadre des célébrations du 25e anniversaire de l’Université de Sherbrooke, on nomme la Bibliothèque des sciences et des sciences appliquées au pavillon Marie-Victorin la « Bibliothèque Frère Théode ». (7)
• Le 19 mai 1981, on inaugure le parc Frère-Théode. (8)
• Le 23 mai 1982, on érige un monument à sa mémoire au parc Frère-Théode. (9)
• En 1992, la municipalité de Bromptonville attribue le nom de Frère-Théode à une portion de rue ouverte en 1811 sous le nom de Ponton. (10)
• En 2004, au 50e anniversaire de la Faculté de génie, on l’honore d’une médaille de pionnier. Lors des cérémonies, le comédien René Caron personnifie le frère Théode. (11)
• En août 2005, on inaugure la cinquième murale rue Alexandre à Sherbrooke, réalisée par Serge Malenfant et son équipe d’artistes de MURIRS. Cette murale représente une journée normale de septembre 1957 dans le quartier où la communauté des Frères du Sacré-Cœur avait trois écoles : l’École Sacré-Cœur « du Centre », l’École Larocque et l’École supérieure, aujourd’hui Centre Saint-Michel. Parmi les personnages illustrés, on aperçoit le frère Théode. (12)
• En juin 2011, une plaque commémorative honore deux autres pionniers coopérateurs du Frère Théode, le frère Léo Martel, présent à la cérémonie et de façon posthume le frère Adelphe (Maurice Desfossés). Cette plaque est ajoutée au monument déjà érigé dans le parc Frère-Théode. (13)
Je termine cet article sur de courtes et sûrement incomplètes biographies de deux illustres éducateurs en me permettant d’inclure un texte qui décrit clairement que ces deux pionniers doivent être considérés comme les vrais fondateurs de l’Université de Sherbrooke.
Les Fondateurs de l’Université de Sherbrooke
Trois interprétations
• Ceux qui ont officialisé le noyau d’étudiants de niveau universitaire, soigneusement préparé pendant une dizaine d’années auparavant.
• Ceux qui ont laborieusement posé les bases de ce noyau, en organisant une classe préuniversitaire, une première année et une deuxième année de génie avec la complicité de la Commission Scolaire de Sherbrooke, à l’École supérieure.
• L’un et l’autre de ces deux groupes de devanciers.
Si on considère ces trois options, il paraît évident qu’il serait injuste de se limiter à l’une ou l’autre des deux premières, surtout de laisser de côté la deuxième option qui a exercé une influence déterminante dans la décision du premier ministre du temps Maurice Duplessis de choisir Sherbrooke plutôt que Trois-Rivières, face aux deux demandes de fondation d’université qui lui étaient adressées dont celle de Trois-Rivières, son propre comté. (14)
Si on considère la première option seulement, le fondateur serait Maurice Duplessis sur le plan civil et le pape Pie XII sur le plan de la charte pontificale; une telle université ne pouvant exister sans le consentement de l’un et de l’autre. Le ministre Johny Bourque et Mgr Georges Cabana viendraient ensuite comme intervenants auprès des deux personnages précédents. Puis la direction du Séminaire de Sherbrooke, comme hôte du siège social de l’université en attendant la construction du campus. Toutefois, le Séminaire a continué de donner le cours secondaire, les classes de niveaux universitaires sont demeurées à l’École supérieure pour la Faculté des sciences et ailleurs pour les nouvelles facultés : médecine, commerce, droit.
Si on considère la seconde option, le grand promoteur et artisan de la fondation de l’Université de Sherbrooke serait incontestablement le Frère Théode avec l’équipe de Frères du Sacré-Cœur qui a œuvré pendant une dizaine d’années avec lui à prolonger le cours des écoles publiques de langue française pour ouvrir aux étudiants du public les universités, et qui a même ouvert des classes universitaires à l’École supérieure de Sherbrooke, en attendant d’obtenir une université.
N. B. Le mot FONDATEUR désigne la ou les personnes qui ont posé les FONDEMENTS d’une œuvre ou d’une institution. Il ne suffit pas de concevoir un projet, mais il faut travailler à sa réalisation pour en être fondateur. (15)
Au lecteur de reconnaître les vrais fondateurs de notre université.
Remerciements
J’aimerais remercier sincèrement le Frère Robert Boucher pour plusieurs raisons : D’abord, il m’a grandement encouragé dans mes recherches en me donnant accès aux archives de sa communauté à Victoriaville. Puis un autre merci pour le temps et l’énergie qu’il a mis pour la révision de mon texte et la vérification des faits mentionnés dans cet article.
Références :
(1) Aventures au Zaïre. Maurice Desfossés.
(2) Notes biographiques. Frère Maurice Desfossés. Février 1992 par Frère Benoit Pelletier, S.C.
(3) En date de 31 décembre 1972, soit vingt-cinq ans après la création de l’Aide aux Étudiants, cet organisme avait effectué 1 628 prêts pour un total de 337 910$. 498 prêts avaient été remboursés en totalité et 653 étudiants bénéficiaient à cette date d’une aide financière et 165 033$ ont été souscrits. L’Aide aux étudiants s’est ainsi retrouvée, en 1987 avec une liquidité de près de 300 000$. Avec l’implantation des formes d’aide gouvernementale (système de prêts et bourses), cet organisme n’avait plus sa raison d’être dans sa forme habituelle. Les directeurs en poste ont d’emblée opté pour la transformation de l’Aide aux étudiants en Fondation Frère Théode Inc. dont l’objectif serait et le demeure toujours de soutenir financièrement l’École secondaire de Bromptonville (ESB) en raison de son caractère « vocationnel ».
(4) Note intéressante, le premier diplômé universitaire sans passer par le classique fut Michel Normandin qui devint notamment un des premiers professeurs de l’École de génie puis de la nouvelle faculté des sciences en 1954. De 1963 à 1967, il est le doyen de la Faculté des sciences puis adjoint au recteur à la planification de 1967 à 1970; il participe à la création du Collège de Sherbrooke en 1968 et devient, par la suite, en 1970, le premier président et directeur général du Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ).
(5) Le Borroméen, octobre 1955
(6) Notes biographiques, Frère Théode (Maxime Lafond) (1897- 1961). Frère Benoît Pelletier, S. C.
(7) La Tribune, 22 septembre 1979
(8) La Tribune, 9 mai 1981
(9) La Tribune, 23 mai 1982
(10) Site Internet de la ville de Sherbrooke
(11) La Tribune, 24 février 2004
(12) La Tribune, août 2005
(13) La Tribune, 2 juillet 2011
(14) Note : Maurice Duplessis est né à Trois-Rivières. Son père, un fervent catholique, a été maire de Trois-Rivières et député au fédéral. Maurice obtient son diplôme en droit à la Faculté de droit de Laval à Montréal. Il pratique le droit à Trois-Rivières. Il est un des proches de Mgr Laflèche, l’évêque de Trois-Rivières.
(15) Texte tiré de la biographie du Frère Théode (Maxime Lafond) (1897-1961) par Fernand Drapeau.
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